jeudi 25 septembre 2008

Romans




2011 : La parole interdite


Le livre : Qui suis-je face à l'Autre qui me pare d'un collier de fleurs aux senteurs acidulées ; et qui suis-je face à celui qui finement me peint le drapeau d'une ouverture recroquevillée ? Qui est donc cet Autre bien-pensant qui dérobe ses yeux impassibles derrière des ombrelles en soie brûlée ?
Étrangement, Ruby ne semble pas ébranlée par le crime inique que son amie Anita a commis. Enlacée par des interrogations qui font la ronde autour du « Jeu hybride », elle tente de lire les codes hiéroglyphiques que l'Autre orne sur sa peau sans la toucher.
Ruby comprend que cette énigme plurielle a pour indice « La parole interdite ».

L'auteur : Roomi Hanif est psychologue clinicienne et ethnologue. Romancière et poétesse, elle a déjà publié : Journal d’une Pakistanaise (éd. Acoria) et L'oraison Crucifiée (éd. Soleil Natal). Elle vit et travaille en France.


Roman disponible sur le site d'ACORIA
Et dans toutes les librairies de France sur commande.




2008 : "Journal d'une pakistanaise"


Sur le site Acoria : www.acoria.net/
JOURNAL D`UNE PAKISTANAISE


Roomi Hanif

Une maison en ruine, au balcon prêt à céder, aux murs défraîchis. Y vivent une femme et ses filles. Y plane une atmosphère lourde, annonciatrice d'orages et de tempêtes… Et vient le moment où le ciel se fend, où Murali quitte brutalement cette demeure pour suivre celui qu'elle aime, où Ma se retourne contre Ashiana qui ressemble cruellement à Zulfikar, à cet homme qui l'a contrainte à vivre dans la misère, à moitié répudiée… Vient donc le temps où les tensions se muent en crispations, où elles érodent et corrodent le bien-être et la raison de femmes qui ne vivent pas n'importe où, mais en ce Pakistan où les amours négociées et les passions empêchées éreintent et font lier les âmes.








PAROLES D'ECRIVAINS
ROOMI HANIF



Pourquoi avez-vous fait le choix d'écrire en français ?
Ecrire en français s'est révélé être un acte naturel. J'ai grandi en France, et dès l'enfance, la langue française a doucement pris la place de ma langue maternelle qu'était le Punjabi...

Qu'est-ce que cela vous apporte de plus sur le plan littéraire ?
J'avoue que je ne me suis jamais posé cette question. Cela m'apporte certainement une richesse dont je n'ai pas encore conscience.

Quels sont selon vous les thèmes importants à retenir de votre roman ?
Une réalité plurielle faite de renoncement et de refus de concéder, de tristesses et d'espoirs, de résignation et de déraison. Des figures qui composent une galerie de femmes aux prises avec la tradition et la modernité... En amont, un seul thème en forme de question : Comment penser et parler librement tout en restant intégré à la société pakistanaise ?


Votre roman renferme un lourd secret qui mine les relations entre les personnages, croyez-vous que les secrets familiaux sont souvent à la source de drames ?
Je pense que les secrets de famille sont porteurs de conflits et de malaise; ils ont une conséquence directe sur les décisions que l'on peut prendre...

Votre héroïne malgré son désir d'échapper à un monde qu'elle réprouve s'y trouve piégée pour la vie ?
La réalité de la vie c'est aussi se perdre et perdre face à de gigantesques systèmes de pensées et d'être que le monde a crées pour nous, j'ai envie de dire presque à notre insu... La réalité de la vie c'est aussi ne pas pouvoir faire face malgré nos arguments même s'ils sont raisonnés et tentent d'ouvrir un dialogue. Ainsi l'héroïne se retrouve piégée par un monde, plus justement par certaines traditions auxquelles elle tente d'échapper... Pour la vie ?... Je ne sais pas, l'héroïne est encore jeune, et on ne sait pas ce qu'elle devient par la suite...

Avez-vous été une jeune femme aussi lucide que votre personnage principal ?
Il serait plus juste de dire qu'il m'arrive d'avoir des moments de lucidité...

L'univers de vos personnages est-il identique au Pakistan d'aujourd'hui, où est-ce une pure invention littéraire ?
Certes l'histoire de ce roman est une fiction, mais elle n'est pas une pure invention littéraire. Elle s'inspire d'un univers que l'on côtoie aisément au Pakistan. Ce qu'il faut comprendre en transversal, c'est qu'il n'y a pas "un Pakistan", mais "des Pakistan". Les pakistanais se distinguent suivant la région dans laquelle ils vivent, suivant leur famille et leur éducation. Aussi curieux que cela puisse paraître, au Pakistan, on perçoit toujours en fond de toile une modernité en gestation...

Quelle est la place aujourd'hui de la femme au Pakistan ?
Personnellement, je pense qu'elle est reste à améliorer, mais ce qui me semble positif c'est que les femmes comme les hommes en sont de plus en plus conscients et dans leur majorité voudraient aller dans ce sens. C'est mon expérience pour ce qui est du Punjab, je ne pourrai pas parler des régions que je ne connais pas...

Comment pensez-vous que votre roman va être reçu au Pakistan ?
Je pense et j'espère qu'il sera bien reçu. Le Pakistan regorge d'écrivains, et les pakistanais portent souvent un grand intérêt aux sorties littéraires émanant des pakistanais de la diaspora.


Le Pakistan traverse une période particulièrement éprouvante et déstabilisante, quel regard portez-vous sur la plupart des évènements qui s'y passent ?
Le Pakistan fait face à une situation très complexe qui échappe à mon avis à l'entendement général de la population. Ce pays se trouve dans une région où des intérêts divergents s'entrechoquent et la population doit malheureusement subir la violence qu'ils engendrent. Ce que je peux dire pour ma part, c'est que je porte un amour démesuré à mon pays, et j'ai foi en lui, j'espère simplement qu'ils sortira de cette situation la tête haute.
Propos recueillis par José Khémal, septembre 2008


Le roman est disponible chez l'Harmattan (16 rue des Ecoles,
75005 Paris), dans toutes les librairies de France sur commande, ainsi que sur le site Acoria : http://www.acoria.net/F_frame.html?http://www.acoria.net/

Il sera bientôt disponible sur www.amazon.fr

L'editeur Acoria organise un café littéraire autour de ce roman (ainsi qu'autour d'autres sorties littéraires).
Le café littéraire qui aura lieu le 29 septembre 2008 au Lavoir moderne Paris 18ème.
voire : http://www.sacd.fr/fileadmin/agenda-culture/2008/doc/ecritures-partage2008.pdf
http://www.sacd.fr/Ecriture-en-partage.692.0.html
http://www.rueleon.net/programme_lmp.php?Segment=&Id=17&id=2224


mercredi 5 mars 2008

Hommes et Migrations

Que disent les jeunes Pakistanais de l’intégration ?
Par Roomi Hanif
Article paru dans Hommes et Migrations

http://www.hommes-et-migrations.fr/archives/2007/1268/1268.html

Numéro 1268-1269
juillet octobre 2007

Diasporas indiennes
dans la ville

Dossier coordonné par Catherine Servan-Schreiber, Chercheur au CNRS-Centred’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud (Ceias) et Vasoodeven Vuddamalay, Enseignant-chercheur à l’université d’Évry-Val-d’Essonne



mercredi 27 février 2008

Ethno : L'immigration pakistanaise en France

Université Paris 7

LE SENTIMENT D’INTEGRATION DES JEUNES ISSUS DE L’IMMIGRATION PAKISTANAISE, EN FRANCE

Ì

DESS d’ethnométhodologie, sous la direction de M. Tarabout

Second lecteur : M. Chambard, troisième lecteur : M. Vidal

(noté 17/20)

Roomi HANIF,1998-1999

"Le sentiment d’intégration des jeunes issus de l’immigration pakistanaise, en France."

Introduction............................................................................................................p 2

CHAPITRE 1

Qui sont les Pakistanais de France ?

A. De l’immigration à l’intégration........................................................................p 6

B. Avant tout et selon tous : l’islam. Introduction à la deuxième génération; qu’en est-il de l’héritage religieux ?.................................................................................p 27

CHAPITRE 2

Les contradictions d’une communauté, entre l’idéologie et la réalité : contraste entre un comportement de "bon musulman" et celui de "bon traditionaliste."

A. Les castes : une hiérarchie embarrassante..........................................................p 42

B. Le mariage... ou le "mariage entre cousin-cousine...".......................................p 52

CHAPITRE 3

3. Entre une France réelle et un Pakistan virtuel.

A. Français ou Pakistanais ?...................................................................................p 72

B. Langues et culture..............................................................................................p 77

C. Les jeunes par eux-mêmes, face à quelques valeurs traditionnelles..................p 88

Conclusion..............................................................................................................p 97

INTRODUCTION

L’étranger, est-il l’homme parmi les hommes ?*1... ou est-ce un homme qui serait tout simplement à part, "qui est autre... qui n’appartient pas ou qui est considéré comme n’appartenant pas à un groupe (familial, social)..."*2 comme le définissent souvent les dictionnaires ?...

"L’étranger", n’est-il pas un mot qui tendrait à dire que le sujet dont on parle définit l’étrangeté d’un groupe entier, d’un groupe uniforme ?... Souvent, c’est la définition du dictionnaire qui l’emporte dans les esprits.

En effet, les pensées généralistes ont souvent régné dans la quotidienneté ainsi que dans les études sociologiques. Et aujourd’hui, elles se perpétuent, prennent une même forme pour désigner les jeunes issus de l’immigration comme étant des "jeunes étrangers", ou les "jeunes des cités"... Encore une fois, ils sont figés dans une différence presque fatale. Ils ne sont pas les jeunes parmi les jeunes, mais un groupe de jeunes, une sorte de "clan", où ils se ressembleraient tous.

En pensant de cette manière, nous ne pouvons pas voir que les jeunes comme leurs parents sont des individus à part entière, que même s’ils ont une histoire commune (l’immigration des parents et tout ce que cela a engendré), parfois une religion et une culture communes... Ils sont différents les uns des autres.

Tous les Français, se ressembleraient-ils donc ? Il est évident que non, même s’ils ont un passé en commun et une certaine manière de vivre qui leur est propre...

Je voudrais simplement montrer qu’il en est de même pour les immigrants et particulièrement pour leurs enfants : la diversité règne dans toutes les communautés immigrées.

La France a toujours été une terre d’accueil. C’est un des pays d’Europe qui a accueilli le plus de migrants et réfugiés. Malgré les difficultés d’insertion dues en grande partie à sa volonté hâtive de voir ses immigrés assimilés plus qu’intégrés, la _________________________

*1. Citation d’Albert Camus : "l’étranger est l’homme parmi les hommes".

*2. Dictionnaire, le Robert.

France reste un pays où la générosité est une tradition. Un grand nombre de Français a des origines étrangères : d’après une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED), "un tiers des Français était d’origine étrangère et, si l’on remontait à la quatrième génération, un Français sur cinq a eu des parents allogènes. En 1980, selon le ministère de l’intérieur, 18 millions de Français étaient des descendants d’immigrants de la première, deuxième, ou troisième génération."*

Dans les années soixante-dix, la France connaît une immigration qui lui était jusque là complètement étrangère. Les nouveaux migrants sont généralement du Maghreb, et apportent avec eux une culture totalement nouvelle, ainsi que l’islam en France. Le fait qu’ils soient musulmans a été aussi ce qui a joué en leur défaveur, car l’islam a toujours été redouté (et est redouté plus que jamais) par l’Europe essentiellement (bien que cette religion soit devenue la deuxième religion de France).

C’est à cette époque qu’une immigration discrète fait aussi son apparition : l’immigration pakistanaise. La deuxième génération issue de cette immigration est tout autant discrète et méconnue, à ce point qu’une majorité de Français ne sait pas différencier les sud-asiatiques entre eux. Les jeunes issus de l’immigration pakistanaise ont majoritairement moins de 30 ans. Cachés sous le nom de "jeunes immigrés", ou "jeunes des cités"... qui généralement fait référence aux jeunes issus de l’immigration Maghrébine, la deuxième génération pakistanaise n’existe presque pas aux yeux de la société française. Elle est marginale par son petit nombre. Cette génération ne s’identifie pas aux jeunes Maghrébins, mais n’est pas non plus loin d’elle. Les Pakistanais et les Maghrébins sont venus à une même époque, et ont connu les mêmes difficultés dans leur nouveau monde.

Lorsque les Pakistanais sont venus en France, ils ont vécu en groupe dans des foyers, ou des chambres de bonne, et ont fait divers petits métiers. Après l’obtention d’une carte de résidence, ils ont pris un appartement dans des HLM afin de faire la demande du rapprochement familial, et se sont ainsi retrouvés un peu partout dans les banlieues parisiennes.

Environ vingt années se sont écoulées; et malgré leur rêve de repartir un jour dans leur pays, les Pakistanais de la première génération se sont vus petit à petit adaptés à ________________________

*La génération suivante, Juliette Minces, ed. de l’Aube, 1997.

leur pays d’accueil, même si certains ne se l’avouent pas ouvertement. Leurs enfants ont grandi dans un pays qu’ils ont pensé "trop libre", mais qu’ils ont apprécié pour le confort économique qu’il offrait. Face à une société "très permissive", les parents ont tenté de mieux leur transmettre leur religion : l’islam, et les valeurs traditionnelles indo-Pakistanaises. Même si l’islam est plus important, dans la réalité il y a une fusion entre la religion et les traditions. Parfois les traditions prennent même le dessus en ce qui concerne quelques domaines cruciaux tels que le mariage (qui sont endogames - les Panjabis se marient entre eux, il en est de même pour les Sindis, les Baluchis, Kashmiris, Pathans..., alors que l’islam autorise et conseille les mariages exogames s’il y a conversion à l’islam...), et le maintien du système des castes.

Vivre entre deux cultures nous mène d’emblée à poser la question de l’intégration. Les jeunes issus de l’immigration pakistanaise se sentent-ils intégrés ?

Cette question m’a amenée à tenter de définir ce qu’était que l’intégration... Nous verrons que chacun a sa propre définition du mot. Nous verrons comment les jeunes font la part des choses entre ce que leurs parents leur ont appris et ce qu’ils veulent garder ou "renouveler" par rapport à leur personnalité imprégnée d’une culture européenne aussi. L’islam qui est vu comme étant ce qu’il y a de plus fondamental, serait-il lui aussi pratiqué d’une manière différente des parents ?... Nous tenterons de voir comment les jeunes vivent la fusion qui existe entre l’islam et les traditions indo-Pakistanaises, qu’ils pensent parfois embarrassantes et "non-islamiques"... Nous verrons qu’ils sont par exemple directement concernés par le système des castes; mais que pensent-ils de ce système, et le perpétueront-ils à leur tour ?

Aujourd’hui, une bonne moitié de la deuxième génération est mariée; le mariage révèle le niveau d’intégration d’une communauté, met à jour ses limites, ses craintes, son ouverture... Nous nous intéresserons aux raisons qui poussent les garçons à se marier avec des Pakistanaises du Pakistan, et qui souvent sont leurs cousines. Et nous verrons aussi pour quelle raison il en est de même pour les filles, et quelles sont les causes qui les mènent plus à des mariages "ratés", ou à des "relations difficiles".

Vivre entre deux cultures c’est vivre entre un pays réel et un autre virtuel. Les jeunes vivent souvent avec une "identité rêvée" qui n’existe pas dans la réalité... et sont un jour amenés à se demander s’ils sont plus Pakistanais ou Français ?... L’image qu’ils se font du Pakistan est-elle bien fidèle à ce qu’est le Pakistan actuellement ? En quelques mots, en quoi ces Pakistanais là sont différents des Pakistanais du Pakistan, qu’est-ce qui fait leur différence ?...

- Qui sont les jeunes issus de l’immigration pakistanaise, en France ? -

CHAPITRE 1

1. LES PAKISTANAIS DE FRANCE.

A. De l’immigration à l’intégration...

Aujourd’hui en France, l’immigration fait parler d’elle, on essaie de la comprendre, ou on essaie plutôt de comprendre qui sont les immigrants. Le problème principal reste l’insertion de ces derniers, leur intégration dans le pays d’accueil. L’intégration est un des sujets d’actualité qui fait certainement le plus couler d’encre, on parle d’elle, mais on ne la définit pas vraiment, chacun parle d’après sa propre compréhension du mot, et la définition de celle-ci n’est jamais partagée par une majorité. Aujourd’hui, lorsque l’on parle des immigrés on pense avant tout aux Maghrébins, et plus particulièrement à leurs enfants; la génération issue de l’immigration est au centre des débats et des discussions politiques, on réfléchit sur ces jeunes "immigrés" qui en fait ne le sont pas. Ils sont simplement des enfants d’immigrés, qui ont comme tous les Français grandi en France, et qui ont pour la plupart la nationalité française.

La France connaîtrait-elle ses immigrés, et leurs enfants ? Généralement les ouvrages écrits sur l’immigration traitent de l’histoire de l’immigration, de l’insertion des premiers arrivants. Ce sont des ouvrages sociologiques basés sur des études quantitatives qui nous donnent surtout une connaissance statistique. Après ces lectures, il semble que l’on reste loin des personnes dont on parle. C’est du moins le sentiment que j’ai eu en lisant des ouvrages sur l’immigration. Quant aux jeunes issus de l’immigration, très peu d’études y ont été consacrées. Ils ont certes pris une importance particulière, dans les médias notamment, mais ne sont pas réellement connus en tant qu’individus. Qui sont donc ces jeunes ? Les quelques ouvrages qui leur sont consacrés se contentent de parler d’eux en retraçant l’histoire de l’immigration en France en général, puis de leurs parents, mais ne vont pas vraiment jusqu’à eux. On reste encore une fois sur des études quantitatives et non qualitatives. Pourtant, étudier un tel sujet, nous mène à nous intéresser aux détails qu’il faut tenter d’approcher de près, et non par des chiffres uniquement, ou des généralités qui n’en finissent pas, et que l’on connaît presque par coeur... Ce sont souvent des études qui laissent un sentiment de frustration; généralement une personne qui va se procurer un tel ouvrage, attend de mieux connaître ces " jeunes", mais après ces lectures, elle n’aura certainement pas ressenti de satisfaction. Et cette question initiale : "qui sont ces jeunes issus de l’immigration..." aura de fortes chances de rester telle quelle.

Dans ce mémoire, je n’ai pas la prétention de répondre de manière systématique à ce genre de questions, mais je voudrais apporter une étude qualitative, ne pas avoir peur des contradictions d’un tel sujet. Je tenterai de rester près de la réalité, c’est à dire essayer de ne pas nier que cette réalité est souvent illogique, et par conséquent semblerait quelque peu étrange...

J’ai désiré comme je l’ai dit plus haut, travailler avec la deuxième génération issue de l’immigration pakistanaise qui est une immigration très peu connue.

Pour pouvoir parler d’elle le plus longuement possible, je ne m’attarderai pas longtemps sur l’histoire de l’immigration en France, (de nombreux ouvrages y sont consacrés), et parlerai brièvement de la première génération pakistanaise en France. Leur histoire sera en fait retracée à travers les dires de la deuxième génération.

Ce mémoire a réellement pour but de restituer le "visage en relief" de la deuxième génération, afin qu’après sa lecture on aie le sentiment d’avoir connu certaines personnes dans leur complexité.

Un nombre considérable de Français agit face à l’immigration un peu comme si c’était pour leur pays, quelque chose de totalement nouveau; pourtant la France a toujours été une terre d’exil, et a vu sur son territoire bien des migrants s’installer définitivement... Dans le courant de ces derniers siècles, des vagues se sont succédées. Tout au long du 19ème siècle, la France a connu l’immigration dite de voisinage avec les Belges, Allemands, Suisses, Italiens, Espagnols, Anglais. Jusqu’au début du 20ème siècle, cette immigration se perpétue, et connaît même une progression constante. L’étude de Guy Le Moine* montre bien l’importance de cette vague d’immigration aujourd’hui pratiquement oubliée dans la mémoire du peuple : "Le premier million est atteint en 1881; en 1921 ils sont : 1 532 000, en 1926 : 2 405 000 et en 1931 : 2 715 000 avec un pourcentage de la population totale (6,58%) égal à celui d’aujourd’hui. Dominent alors les italiens (808 000), les polonais (508 000), les espagnols (352 000) et les belges (254 000). Depuis sont apparues des nationalités nouvelles : portugaises et africaines."

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* L’immigration en France, Guy le moine, Que sais-je ? Ed. Presses universitaires de France.

Après la guerre mondiale, La France va connaître une autre vague d’immigration, elle a perdu 1 million de personnes et son économie est à reconstruire. C’est à cette époque que les premiers algériens viendront en France, ils seront environ 400 000. A partir de cette période, l’immigration ne cessera plus, la France connaîtra de nouveaux migrants auxquels elle n’était pas habituée, comme les africains, les Maghrébins, les asiatiques... "De 1946 à 1982 et malgré l’arrêt officiel de l’immigration en 1974 le nombre des étrangers n’a cessé de s’accroître comme en témoignent les résultats des recensements : 1946 : 1 744 000; 1954 : 1 767 000; 1962: 2 170 000; 1968 : 2 621 000; 1975 : 3 442 000; 1982 : 3 680 000."

Les Pakistanais sont arrivés en France dans les années 70. L’immigration avait en principe été suspendue, mais tous ceux qui sont arrivés à cette époque ont tout de même obtenu des papiers pour résider dans le pays.

La présence des Pakistanais en France est une présence discrète par son petit nombre, ils seraient environ 50 000, mais ce chiffre est à prendre avec précaution, car il n’est pas possible d’avoir un chiffre exact; encore aujourd’hui, chaque année, de nouveaux Pakistanais entrent clandestinement sur le territoire français. Les Pakistanais habitent de manière très éparpillée à Paris et dans la région parisienne, à l’exception de quelques villes telles que Garges, Sarcelle, Bobiny, Evry, Orly, Champigny, Dreux... où l’on peut trouver une concentration de quelques centaines de familles.

Lorsque les Pakistanais sont arrivés dans les années 70, ils ont exercé des activités comme vendre des journaux, travailler dans les restaurants... Ils sont restés en groupes dans des foyers, ou des chambres de bonne dans des conditions précaires jusqu’à l’obtention d’une carte de résidence. Dès l’obtention de la carte de séjour, la majorité d’entre eux a alors pris un appartement (HLM) et a fait une demande de rapprochement familial. Petit à petit beaucoup de Pakistanais ont opté pour un travail indépendant "être son patron" : Leur choix de faire un travail indépendant ressemble fortement à celui des Pakistanais/Indiens d’Angleterre. En effet, ces derniers ont dans une majorité préféré s’installer à leur propre compte dès qu’ils le pouvaient. Didier Lasalle, dans Les minorités ethniques en Grande Bretagne*,

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* Les minorités ethniques en Grande Bretagne, Didier Lasalle. Ed. L’Harmattan, 1997.

explique que ce choix s’est fait pour deux grandes raisons... (p 343) "Quoiqu’il en soit, une enquête récente montre que c’est parmi les indiens que l’on trouve la plus grande proportion de personnes ayant choisi le travail indépendant pour des raisons positives, comme par exemple celle de vouloir être son propre patron", (p 347) "Comme dans le cas des indiens, le travail indépendant, au contraire du travail salarié qui dépend exclusivement de la bonne volonté d’autrui, permet d’atténuer le handicap de l’exclusion raciale. Une enquête récente montre que plus de la moitié des Pakistanais concernés se sont lancés dans cette voie pour échapper aux perpectives d’emploi peu luisantes qui leur étaient offertes ou au racisme latent du marché du travail". En France, les Pakistanais semblent animés des mêmes idées, avant tout il y a une réelle ambition de devenir un jour quelqu’un d’ "important", et le commerce est une des voies qui peut donner le plus de chances de s’enrichir et ainsi d’acquérir le statut d’un "homme respectable". Le commerce est, en effet, ce que les Pakistanais aiment probablement le mieux faire - cela concerne aussi les Pakistanais du Pakistan, beaucoup rêvent d’avoir un petit commerce qui se terminerait par un véritable business... les séries télévisées reflètent aussi cette ambition (ou encore est-ce une influence de la télé ?...); dans pratiquement toutes les séries, la majorité des acteurs, ou les personnages principaux sont de grands "business men"...- Dans tous les cas, ce que disent les Pakistanais c’est que même le petit commerce offre une situation confortable dans le sens où on est maître de son travail, et où le racisme aussi peut être évité. Il faut noter que le racisme est l’une des raisons qui pousse à opter pour un travail indépendant - Doit-on souligner qu’en France, le racisme envers les immigrés n’a cessé d’augmenter depuis les années 70, et que l’extrême droite (FN) a séduit environ 14/15% de la population française aux présidentielles de 1995. Aujourd’hui, pour 30% de Français, le Front National incarne une droite libérale en économie et réactionnaire sur les valeurs : "30% des Français approuvent sa défense des valeurs traditionnelles* -.

D’après une récente étude de l’ONU, les immigrés en France semblent être touchés dans deux domaines : le travail et le logement. Sur son site (internet), l’ONU écrit : "D’après une étude de l’Institut national démographique (INED)3/, la discrimination raciale à l’égard des personnes d’origine non européenne se manifeste particulièrement dans deux domaines : l’emploi et le logement. les _________________________

* Le Front National, Jean-Yves Camus, les essentiels Milan, 1998.

populations immigrées et plus généralement les personnes ayant certaines origines ethniques rencontrent des difficultés pour accéder à un logement correct convenant à la taille de leur ménage et connaissent le surchômage. L’enquête, qui s’appuie sur la façon dont les personnes discriminées perçoivent les faits de discrimination et sur les perceptions d’autres personnes résident en France, permet, par ce biais, d’appréhender les pratiques discriminatoires des acteurs sociaux (Institution, employeurs, agences pour l’emploi, société d’intérim, propriétaires, sociétés immobilières, etc.) qui elles sont difficiles à observer concrètement". Un peu plus loin, nous pouvons également lire que les asiatiques sont tout de même les moins concernés par le racisme : "(...) Source : INED, Enquête MGIS réalisée avec le concours de l’INSEE, 1992. Ainsi paraît-il que les immigrés originaires d’Algérie et d’autres pays Maghrébins (Maroc et Tunisie) et d’Afrique noire sont les plus exposés à la discrimination à l’embauche. Viennent ensuite les originaires de la Turquie et dans une moindre mesure les originaires du Sud-est asiatique."

Quoiqu’il en soit, les Pakistanais semblent être plus à l’aise dans le travail indépendant. Ils ont fait, et font, les marchés, ils ont ouvert des boutiques, des restaurants, des ateliers de confection... Désormais on peut parler d’un quartier Pakistanais à Paris dans le 10ème arrondissement où se trouvent des boutiques d’alimentation indienne, de l’habillement, des cassettes audio ou vidéo, des librairies islamiques, restaurants, snacks, salons de coiffure... C’est dans ces endroits que la majorité des nouveaux migrants Pakistanais travaillent clandestinement pour des salaires très bas.

Les Pakistanais en France sont majoritairement originaires du Panjab. On trouve rarement des gens très éduqués parmi les migrants de la première génération, qui dans l’ensemble, ont un niveau d’études allant de la troisième au bac. Une minorité a le niveau licence ou maîtrise. Parmi les femmes de cette génération par contre, cela est très diversifié. Il y a un bon nombre d’analphabètes, mais aussi des femmes alphabétisées, ayant un niveau d’études allant de la 3ème au bac, et parfois plus... (même si aujourd’hui au Pakistan, le niveau d’éducation est supérieur à celui d’il y a vingt ans, le pourcentage des gens alphabétisés reste très insuffisant, et encore médiocre en ce qui concerne les femmes. Nous pouvons nous référer aux chiffres que nous donne Michel Boivin dans son "Que sais-je" sur le Pakistan*2, récemment _________________________

*2. Le Pakistan, Michel Boivin, Que sais-je, Ed. Presses universitaires de France, 1996.

publié. (p 101) "Le niveau d’éducation moyen est particulièrement bas au Pakistan. On estime que parmi la population âgée de 25 ans et plus : 78,9% n’ont aucune instruction primaire, 8,7% une instruction primaire, 10,5% une instruction secondaire et 1,9% une éducation supérieure. Un quart des adultes serait illettré. Le niveau des femmes est beaucoup plus bas que celui des hommes : 36% des hommes sont alphabétisés contre 15% des femmes").

Ces migrants ont quitté leur pays pour des raisons économiques; ce qui n’est pas forcément le cas des nouveaux arrivants qui se sont souvent laissés bercer par le mythe que les immigrés Pakistanais entretiennent lors de leur séjour au pays; en effet, beaucoup d’immigrés ont tendance à faire l’éloge de l’Europe, et se vantent de vivre une vie de rêve, alors qu’ici, ils en disent le contraire. Les jeunes Pakistanais ont été presque poussés à baisser les bras dans leur pays et à émigrer vers cette Europe "parfaite"; beaucoup d’entre eux n’avaient pas réellement besoin de partir pour réussir... Ils n’ont pas non plus émigré dans les mêmes conditions que leurs aînés, et ont souvent dépensé jusqu’à 600 000 à 800 000 roupies pour aller vers l’Europe et les Etats Unis essentiellement. Une fois en Europe, la question qui leur est souvent posée est la suivante : pour quelles raisons ils n’ont pas dépensé cet argent dans leur propre pays, pour ouvrir un petit commerce ! La seconde différence avec la première génération est qu’ils sont plus éduqués qu’elle; ces jeunes ont un niveau allant du bac à la licence, voire à la maîtrise.

Les Pakistanais venus en France dans les années 70, sont en grande majorité venus à cause d’une réelle nécessité. Il ne leur fallait pas dépenser une somme phénoménale pour sortir de leur pays, et ont souvent vendu des bijoux, ou un peu de terre, ou emprunté un peu dans leur entourage pour acheter un billet. Ils étaient venus dans le but de récolter environ 100 000 roupies et repartir dans le pays pour y ouvrir un petit commerce. Les nouveaux migrants passent par des "agents" qu’ils paient cash (vente de terre...), et se retrouvent ainsi lourdement endettés, ou n’ont plus aucun héritage dans le pays.

Comment peut-on parler des jeunes issus de l’immigration ? (et particulièrement de ceux qui sont issus de l’immigration pakistanaise, ce qui ne veut pas dire que nous ne serons pas amenés à parler des jeunes issus de l’immigration Maghrébine qui sont les plus nombreux en France). Qui peut mieux parler d’eux si ce n’est eux-mêmes ? J’ai pensé que leur donner la parole était la meilleure façon de les faire connaître, car en général, on laisse peu la parole aux jeunes, et on les juge assez facilement. Ce qui fait qu’ils sont souvent étiquetés, on parle d’eux comme comme si on parlait d’un produit sur lequel on pourrait lire les ingrédients, comme si c’était un groupe uniforme, identique... des jeunes qui se ressembleraient tous et leur grand point commun serait qu’ils sont "perdus" - voire même "déséquilibrés" -. Ici, je fais allusion à certains articles de presse, ou certains ouvrages, mais surtout à ce que l’on peut entendre dans la vie de tous les jours. Ce qui est le plus triste c’est d’entendre des propos plutôt ironiques et généralistes de la part de certains spécialistes de la question.... Prenons l’exemple d’un article écrit par Annie Krieger-Krynicki (Maître de conférence - Université Paris 9, Dauphine. Membre de l’IDEFS - sur le quartier Pakistanais : "Le Pakistan à Paris", dans la revue Accueillir*, (p 24); "Ombres discrètes, des hommes au teint sombre, à la chevelure d’ébène, vêtus de blousons de cuir, circulent dans les rues puis se dirigent vers une boutique. Une chanson sirupeuse et rythmée s’en échappe tandis qu’ils feuillettent des catalogues de cassettes musicales ou vidéo. Les rayons sont remplis de rêves plastifiés dont ils remplissent leurs sacs. Le samedi, des femmes se joignent à eux : le manteau de lainage découvre le shalwar kamiz multicolore mais les jeunes filles au profil de médaille portent le jeans et maquillent de rouge vif leurs lèvres. Dans la poussette du bébé, elles ont posé des sacs de riz basmati, les sachets d’épices pour le carry et l’eau de toilette bon marché (...) Le salon de coiffeur sert de bourse aux nouvelles. Les tarifs sont affichés en français et en ourdou. Pour ne laisser aucun doute aux analphabètes, deux billets de vingt francs sont collés dernière la vitre (...) Mais la bien-aimée, plus fidèle ou selon un mariage arrangé par les familles, le rejoindra dans le pauvre deux-pièces de St-Denis ou de Dreux, venue du fin fond du Pakistan."

Heureusement, certains ouvrages essaient de calmer les esprits, et de voir de manière plus raisonnable le sujet qu’ils étudient; je pense que ceux qui jugent en bloc sont des personnes qui ne savent pas faire face à la diversité de l’être humain. Il y a réellement plusieurs sortes de Pakistanais, très différents les uns des autres. Prenons _________________________

* "Le Pakistan à Paris", Annie Krieger-Krynicki. Accueillir, 1991.

l’exemple de la notion de l’honneur : pour des familles se disant "respectables", un comportement donné peut être vu comme très honorable et courageux par certaines famille, et tout à fait arriéré par d’autres. Prenons l’exemple de l’éducation poussée d’une fille... Un père se pensant très "izzatdar" (respectable) décide de ne plus envoyer sa fille au lycée, pensant que cela le déshonorerait d’accepter que sa fille, qui est en pleine puberté, côtoie des garçons quotidiennement en classe... Cette même attitude peut être vue comme dégradante pour d’autres familles respectables, qui pousseront au contraire leur fille à faire des études supérieures pour qu’ils acquièrent tous une "izzat" plus grande et prestigieuse que l’on ne trouve qu’à travers une éducation très poussée... Cet exemple nous mène par conséquent à réfléchir sur la notion l’honneur. On parle de l’ "izzat" naturellement, mais comme le mot "intégration", l’ "honneur" est défini par chacun de façon différente. Nous verrons tout au long du mémoire des diversités de même type.

Pour cette étude j’ai donc choisi d’écrire tout en restant très près de mes entretiens et de mon observation. Ce mémoire est une fenêtre, une fenêtre qui est peut-être construite par moi-même, mais la vue qu’elle donne est le moins possible personnelle. Ce sont les jeunes de la deuxième génération, plus précisément quelques jeunes, qui constitueront plus que d’autres le mémoire. Car encore une fois, plus on reste loin des généralités mieux on touche la réalité...

Les quatre filles s’appellent Shabnam (25 ans, niveau maîtrise, à la recherche d’un emploi), Noor (22 ans, étudiante en B.T.S), Yasmine (17 ans, lycéenne) et Shakeela (25 ans, niveau bac, employée à la poste); le jeune homme s’appelle Ali (36 ans, enseignant). Même si ces cinq personnes seront régulièrement citées, le mémoire a été rédigé après une étude qualitative basée sur des entretiens avec une trentaine de personnes, ainsi qu’une observation personnelle qui dépasse une année. Faisant partie de la communauté pakistanaise, j’ai pu longuement observer ma propre communauté, et j’ai naturellement entretenu des liens étroits avec elle.

Avant de commencer, j’essaierai de comprendre ce qu’est l’intégration. Parler d’elle nécessite que l’on mette au clair ce que cela signifie. Voici en premier la définition qu’en donne le dictionnaire*: "Opération par laquelle un individu ou un groupe _________________________

* Le petit Robert - grand format -, dictionnaire de la langue française.

s’incorpore à une collectivité, à un milieu (opposé à ségrégation)", cette définition reste très vague et laconique. L’intégration est comprise par chacun différemment, et généralement lorsque la société française parle de l’intégration elle pense à l’assimilation : on attend des immigrés une sorte d’acculturation suffisamment importante pour le bon fonctionnement de la société française. Seulement ce même mot d’ "intégration" est perçu par les immigrés et leurs enfants de manière différente, et à l’intérieur même de ce groupe, les définitions diffèrent. Les définitions seront donc données par les jeunes eux-mêmes, mais avant tout je commencerai par l’histoire des parents de ces derniers.

Ali est enseignant dans un lycée, dans une banlieue parisienne. Il est le seul de mes interlocuteurs à avoir plus de 35 ans tout en faisant partie de la deuxième génération, (il faut souligner que la grande majorité de la seconde génération a moins de 30 ans); il est aussi le seul à être de deux nationalités (sa mère est Française de souche). Il raconte comment son père est venu en France :

"Mon père était dans la marine marchande. Il a rencontré ma mère en Angleterre et s’est marié. Puis, il s’est installé en France car les parents de ma mère ne souhaitaient pas que leur fille reste en Angleterre ou aille au Pakistan. Ce ne fut pas un choix très facile pour mon père, car il ne parlait pas le français. Son métier ne lui plaisait plus, je pense qu’il aurait préféré soit rester au Pakistan, soit en Angleterre. Il a eu, compte tenu de la langue, beaucoup de mal a faire reconnaître son expérience professionnelle. Il a d’abord travaillé dans les ambassades, puis a fini par trouver un travail en France. Il a fallu environ 20 ans pour qu’il obtienne la nationalité française pour des raisons administratives. Je pense que le fait que ses enfants soient tous dans une école française l’ont aussi aidé à acquérir la langue française. La proximité de mes grands-parents et leur surtout de ma grand-mère maternelle) a aussi aidé."

Shabnam fait partie d’une minorité de jeunes à avoir fait des études supérieures. C’est une fille qui semble être ferme dans ces idées. Généralement, elle sait ce qu’elle attend des autres et d’elle-même. Lorsque je l’ai rencontrée, elle était habillée d’un jean et d’un tee-shirt, elle portait peu de bijoux et était peu maquillée : par sa façon de s’habiller, elle faisait plus européenne qu’orientale.

"Mon père est venu par nécessité en France, ma mère a vendu ses bijoux* pour qu’il puisse partir et _________________________

* Dans le continent indien, les parents et les beaux-parents donnent à la mariée des bijoux en or. Ces bijoux lui appartiennent, et sont une sorte de capital. Bon nombre de femmes indo-Pakistanaises ont le désir de garder précieusement ces bijoux et de les donner à leur tour à leurs futures belles-filles, ou filles... et ne les vendent que par grande nécessité économique.

améliorer leur situation, à cette époque il n’y avait plus rien dans le pays, et une fois ici, au début des années 70, il a fait des petits boulots, et a eu la carte de séjour, il a pris un HLM et nous l’avons rejoint 5 ans après. Et dire que ma mère n’avait jamais pensé venir en France, elle adorait son pays."

Noor fait partie des filles qui ont eu la chance d’étudier et sont libres de travailler. Elle est très vive et a tout à fait le profil d’ "une femme active" ! Cependant, elle a été mariée très jeune pour des raisons que nous verrons plus tard, et fait partie des jeunes qui ont adhéré à la volonté des parents à contre coeur, afin de ne pas les blesser. La personnalité de Noor semble avoir deux aspects réellement paradoxaux. Son image de "femme active" ambitieuse, libre toute la semaine, ne semble pas correspondre à l’image de la "femme passive" de sa vie privée, qui accepte tout d’un air fataliste.

"Je n’ai jamais posé la question, mon père voulait aller à l’étranger, il voulait s’éloigner de la famille, il était de Sahiwal, d’un village. il est allé dans plusieurs pays de l’Europe en 74, et puis comme il a trouvé un travail en France en 77, il s’y est installé, mais avant ça, il est resté dans plusieurs villes de France comme Marseille par exemple... Il a travaillé comme monteur-câbleur pour le T.G.V., à Paris. Il est resté dans un foyer avec d’autres Pakistanais, puis a pris un appartement à Garges, parce que pour faire la demande du rapprochement familial il fallait d’abord avoir un appartement. On est arrivé en 79, j’avais 1 et demi."

Shakeela a dû mener un combat en permanence (souvent en vain) pour ne pas être une "fille soumise", et continue à se battre pour ses droits. Elle fait partie de ceux qui après des révoltes vaines ont fini par adhérer à la volonté des parents, et qui après avoir beaucoup accepté se révoltent plus violemment encore, ils se sentent prêts à franchir des limites qu’ils n’auraient pas imaginé franchir auparavant. Shakeela est celle qui, avec Noor, a le plus souffert, mais contrairement à cette dernière elle désire mettre fin à sa souffrance.

"Mon père a fui la pauvreté comme la majorité des Pakistanais de cette époque, il est directement venu en France en 74, il est resté regroupé avec d’autres Pakistanais, il a vendu des journaux au début à Barbès, et par la suite a trouvé un emploi dans une usine, où il est resté conducteur de machine toute sa vie. Il a eu sa carte de séjour en 75, il a pris un appartement à Garges en 78, et on l’a rejoint en 80. Quand je suis arrivée j’avais 7 ans, mes autres soeurs avaient 5 et 14 ans, et mon frère environ 18 ans."

Yasmine est une adolescente qui se pose beaucoup de questions sur son identité. Etant la dernière de la famille, et ayant des parents plutôt ouverts d’esprit, elle fait partie de celles qui trouvent plus facilement leur équilibre que d’autres.

"Mon père avant de venir en France, il est passé par la Hollande, de là on lui a dit qu’en France on avait besoin de main d’oeuvre, et il est venu ici, il a fait des petits boulots... Je ne sais pas énormément, mais je sais que ça a été dur pour lui, puis ma mère, mes frères et soeurs l’ont rejoint, moi je suis la seule à être née en France, en tous cas ils sont sortis du pays pour des raisons uniquement économiques, et non pour le plaisir."

Dans les années 70, les Pakistanais sont venus en France par nécessité. Ils viennent souvent des villages, ou des petites villes, et très rarement des grandes agglomérations*. Pratiquement aucun Pakistanais ne sait qu’au moment où ils sont arrivés, la France avait suspendu l’immigration (en 74). Ils pensent au contraire que la France avait fait appel à de la main d’oeuvre étrangère, ce qui n’est pas tout à fait faux, car juste un peu avant, la France avait eu effectivement besoin d’hommes, et à cette époque ils avaient tous trouvé un travail. Cependant ils ont fait les métiers les plus durs. Leur situation était celle que les nouveaux migrants vivent actuellement; ils devaient vivre à plusieurs dans les foyers, faire tout ce qu’ils trouvaient pour survivre afin d’envisager un avenir meilleur. Ceci dit, on peut dire qu’ils ont été plus chanceux que les migrants d’aujourd’hui, car espérer la régularisation à présent en France est pratiquement chose impossible. C’est pourquoi les jeunes arrivants espèrent trouver quelqu’un avec qui ils peuvent se marier pour obtenir la carte de séjour (d’où leur mauvaise image parmi les filles Pakistanaises ayant grandi en France, nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet plus tard).

Lorsqu’une personne émigre, c’est une culture et une religion qui se déplacent et s’installent dans le pays d’accueil, et parce qu’elles sont déracinées, isolées, elles prennent une forme solide, ou encore s’adaptent à un nouveau mode de vie. Tous les immigrés Pakistanais ont certes connu la même histoire (les conditions qui les ont poussés à émigrer, l’immigration, les frustrations face au devoir de faire tout ce qu’ils trouvaient, le racisme, la confrontation à une culture nouvelle...) mais ils n’ont pas tous eu la même manière de vivre dans le nouveau monde lorsque leurs enfants ___________________________

* Le Pakistan est essentiellement rural.

sont arrivés. Ils ont tous choisi leur propre manière de transmettre l’éducation pakistanaise" à leur descendance. Exactement comme les Maghrébins, ils ont eu leur façon de concevoir la vie d’étranger en France. Quant aux enfants de migrants, ils ont rarement ressemblé trait pour trait à leurs parents, mais ont su construire leur propre identité, et eux-mêmes sont très différents les uns des autres.

Il faut savoir que lorsque les Pakistanais sont venus en France, ils pensaient rester quelques années pour économiser de l’argent et repartir au pays, tout comme les Maghrébins. Mais avec le temps le retour devenait de plus en plus difficile, et le pays de plus en plus mythifié. En fait, ce fut une surprise des deux côtés, un nombre considérable de Français ne s’attendait pas non plus à voir les étrangers s’installer définitivement. Juliette Mince résume cette situation dans "La génération suivante"* (p 20)"(...) d’avoir si longtemps vécu sur un "malentendu" , n’a pu qu’accroître ces tensions : alors que l’immigration s’est peu à peu révélée structurelle, on a continué à la déclarer conjoncturelle. Cela a permis qu’elle ne manifeste pas de rejet actif. Celle-ci [l’opinion française] n’a cessé de craindre dans les immigrés une force de travail concurrentielle, dangereuse pour ses luttes sociales, briseuse de grève et faisant pression sur l’échelle des salaires. Cette manipulation a consisté à leur faire croire qu’on pourrait faire repartir ces travailleurs à la moindre alerte économique, que ces hommes seuls et ces femmes isolées qui étaient venues offrir leur force de travail lorsque la France en avait besoin s’en retourneraient de même, comme on se défait d’une machine devenue inutile. Par la même occasion, cette perception de l’immigration permettait de faire l’économie d’infrastructures d’accueil. Puisqu’ils allaient repartir, il était inutile d’investir pour eux ! Il était également inutile de former les autochtones à cohabiter avec eux, de même qu’à préparer les immigrés à vivre selon d’autres normes".

En avril 1977, le gouvernement français proposa même une "aide au retour volontaire", en échange de la carte de séjour. Abeljahil Nehas souligne dans "Les perspectives des jeunes issus de l’immigration Maghrébine"* (p 12) "En avril 1977, est créée une ‘aide au retour volontaire’. D’autres mesures d’aide au retour seront également mises en place dans les années quatre vingts. Cependant, aucune ne _________________________

*1. La génération suivante, Juliette Minces, op cit. p2.

*2. Les perspectives des jeunes issus de l’immigration Maghrébine, Jean-William Wallet, Abdeljalil Nehas, Mahjoub Sghiri. Ed. de l’Harmattan. 1996.

provoquera de mouvement massifs de population". Cette aide au retour est souvent citée dans les ouvrages concernant l’immigration. Celle-ci reste dans la mémoire des immigrés, qui ont tous été visés, et plus ou moins amenés à réfléchir sur ce retour... Pour une très grande majorité, cette aide n’était pas assez intéressante pour qu’ils échangent contre elle leur carte de séjour - une carte de séjour qui leur promettait un présent ainsi qu’un futur incomparablement plus riche que celui du pays -. De plus, cette carte de résidence leur avait coûté cher (endettement, ou vente des biens pour aller en Europe, la séparation, l’isolement, les petits travaux...) et l’échanger contre peu d’argent leur paraissait dérisoire ! Cette proposition est souvent vue par les immigrés comme étant un "rejet" plutôt qu’une "aide" de la part du gouvernement français. Juliette Mince, dans "La génération suivante" rajoute à ce sujet : "A partir de juin 77, Lionel Stoléru va remplacer P. Dijoud. Avec lui, l’objectif sera de fermer le marché de l’emploi à de nouveaux arrivants en même temps que d’encourager, par l’aide au retour, ceux qui choisissent de rentrer chez eux. Peu d’immigrés seront tentés : environ 45 000 personnes en majorité des Espagnols et des Portugais, qui, de toutes façons, avaient déjà commencé à préparer leur retour. En novembre de la même année, le Conseil d’Etat s’oppose à cette procédure d’aide au retour. Celle-ci réapparaîtra pourtant l’année suivante sous une forme légèrement différente". En effet, peu de gens ont été attirés par cette "aide". Parmi ceux qui se sont laissés tenter, on trouve surtout les européens à la retraite comme nous venons de le voir. Il y a bien entendu des cas de Pakistanais qui ont accepté cette aide en échange de leur carte de séjour, mais ils ont souvent regretté d’avoir fait ce choix hâtif. La majorité d’entre eux, sont revenus en Europe et y ont vécu clandestinement. Pour ces personnes, l’aide au retour a été plus une perte qu’un gain - et cela est souvent perçu par ces derniers comme un piège dans lequel ils sont tombés !

Les immigrés "s’implantent", leur présence devient désormais une présence à accepter, et l’intégration de ces derniers une question centrale pour la France. Aujourd’hui cette question reste aussi importante, si ce n’est plus, car les enfants d’immigrés ne sont pas des immigrés, mais ne sont pas non plus vus comme étant de "vrais Français". Alors qui sont-ils ?

Lorsque la question de l’intégration est posée, la définition de celle-ci est toujours personnelle.

Ali qui est à moitié Français a lui aussi été amené à se poser des questions sur son identité et son intégration :

"Je crois que quelqu’un d’intégré, c’est d’abord quelqu’un qui accepte l’échange à l’intérieur d’une même société sans forcément renoncer à ses convictions. Mais cette définition est valable aussi bien pour les individus qui viennent de l’extérieur de la société (mais qui en font partie) que pour ceux qui y sont nés. Mais ce qui me choque c’est l’exploitation politique qui en a été faite et le fait de viser volontairement une catégorie de personnes évidemment la plus fragile, moi personnellement, je me sens tout à fait Français, surtout vis-à-vis de ma famille paternelle que nous voyons très peu; toutefois, vis-à-vis des Français ‘de souche’ je vois bien que leur regard vis-à-vis de moi est teinté, comment dire, disons ‘de curiosité’, d’interrogation, et même je pense parfois, d’un peu de ‘racisme’, comme j’ai un look un peu libanais, ou arabe, je suis facilement assimilé à un algérien; pendant mon service militaire beaucoup ont été "rassurés" lorsque j’ai répondu à la question traditionnelle "de quelle origine es-tu ?" Je dois dire que le service militaire a un peu remis en cause ma croyance d’être ‘totalement’ Français. Autant l’image des Maghrébins en France est mauvaise, autant l’image des Asiatiques, ( et particulièrement des Indiens) est (encore ! du moins!) bonne. A vrai dire personne ne sait où est vraiment le Pakistan. Quand on dit que c’est à côté de l’Inde, ça va; quand on dit que c’est à côté de l’Iran, c’est un peu moins bien.."

Ali dit tout au début qu’il est Français, il sera d’ailleurs le seul à se sentir tout à fait Français. Mais lui aussi finit par dire qu’il ne l’est plus à cause du regard de l’autre. La définition de son intégration est une sorte d’idéal, difficile à concrétiser dans la réalité, non pas seulement à cause du rejet de la part de la société française, mais aussi par le manque d’indulgence des parents qui font bloc à une bonne intégration comme le dit Shabnam et bien d’autres interviewés. En effet le renfermement des parents est souvent mis en cause, soit directement soit indirectement par les jeunes. Shabnam dit clairement que lorsqu’il n’y a pas une bonne intégration, c’est souvent les parents qui en sont la cause première :

Shabnam : "Je ne veux pas être utopiste, l’intégration c’est pouvoir vivre au moins la majorité de son temps en harmonie avec soi-même et son entourage, sa famille et la société d’accueil, il faut pour cela que la société nous accepte avec nos différences, certains le font, d’autres pas, le problème est plus compliqué qu’on ne le pense, les parents ne nous aident pas à s’intégrer non plus, ils mettent trop de barrières de peur de voir leurs enfants s’assimiler, et devenir Français. En réalité c’est triste, parce que ni la France ne nous accepte tels que nous sommes, ni vraiment les parents... On ne sait plus à qui faire plaisir, l’effort est toujours demandé à nous; la société : les amis attendent de nous qu’on se libère comme eux, qu’on devienne comme eux, sans ça, un jour ou l’autre ils nous lâchent, et on est souvent traité de gens faibles, à la limite de la soumission des parents même jusqu’à un âge avancé... et les parents : ils nous rappellent sans cesse leur histoire, ils nous ont donné la notion de l’honneur, nous ont tellement protégés, aimés qu’il n’est pas possible de les décevoir, ce qui ne veut pas dire qu’on ne se révolte pas, mais nos révoltes ont aussi leurs limites ! C’est vrai, c’est nous qui faisons le plus d’effort pour avoir un semblant d’équilibre, c’est nous avec nos parents de leur côté qui allons payer le prix fort, c’est d’ailleurs toujours la première et deuxième générations qui se sacrifient, la troisième et quatrième générations seront complètement différentes, et ça, les parents ne le comprennent pas, on sera amené (nos enfants, nos arrières petits-enfants) à s’assimiler, la France n’est pas un pays d’intégration, mais d’assimilation. Nous restons là comme des branches inébranlables ? tout en sachant que tout cela n’existera presque plus, ou existera d’une manière folklorique ! L’intégration dans un pays se fait, mais se fait difficilement, avec le temps, avec trop de temps, mais elle se fait, nos enfants, et nos arrières petits-enfants seront des gens tout à fait intégrés, même ‘complètement Français’, nous, nous ne le serons pas, pour ne pas blesser nos parents, et ne pas se blesser soi-même nous accepterons de nous sacrifier. L’intégration pour nous restera un idéal, que nous ne voulons peut-être nous-mêmes pas atteindre de peur de nous trahir. J’ai toujours dit que j’étais une Pakistanaise qui avait grandi ici, je sais que mes enfants diront qu’ils sont d’origine pakistanaise, et que mes arrières petits-enfants diront qu’ils sont Français, qu’ils avaient (ça fait longtemps !) des parents Pakistanais qui étaient venus d’on ne sait où..." Shabnam a des pensées très pragmatiques et réalistes. Elle met certes en cause le manque d’ouverture des parents mais aussi la pression de la part de la société française qui exige l’assimilation. Malgré la force de son caractère, elle est assez pessimiste : pour elle, les deux générations (les parents et eux-mêmes) sont des générations sacrifiées. Ce pessimisme débouche après tout sur un espoir pour les générations suivantes qui n’auront pas les mêmes contraintes, ni de la part de leurs parents, ni de la part de la société française. Ils seront intégrés. Cette pensée a en elle quelque chose de très fataliste après tout : la première et deuxième générations, seraient-elles condamnées à rester telles qu’elles sont ? Seraient-elles amenées à rester figées dans leurs différence ?

Lorsque Shakeela parle de l’intégration, elle fait tout de suite référence aux habitudes vestimentaires, et trouve sa différence dans les petits détails qui pour elles sont révélateurs de "non-intégration" (notons qu’elle s’habille à l’européenne). Elle fait aussi référence aux sorties et aux voyages. Dans le peu qu’elle dit à ce sujet, elle semble elle aussi "mettre en cause" le "moi" ou sa propre communauté plus que la société française : "L’intégration c’est être accepté par les autres avec nos différences, moi j’ai toujours dit que j’étais Pakistanaise. Je pense donc qu’on ne peut pas être intégré, il y a trop de choses qu’on ne peut pas faire, des choses simples et normales pour les Français, par exemple aller en discothèque, mettre un jupe courte... je crois que si on faisait cela on ne serait plus Pakistanais, et moi j’aime ‘l’âme pakistanaise’. Je ne suis pas intégrée, ou pas complètement, par exemple au travail mes collègues parlent de leurs vacances, du ski, de la mer..., je vois constamment qu’il y a une différence entre moi et eux, rares sont les Pakistanais qui vont en vacances pour le plaisir de voir des horizons nouveaux !"

Noor est plus catégorique, et d’un air fataliste elle dit : "C’est simple, une vraie intégration c’est une assimilation, ne pas faire comme font les parents, et ça c’est impossible! Je me sens plus ou moins intégrée... je me sens un peu plus que certains autres. Mais franchement, je crois que l’intégration dans un pays si différent, c’est quelque chose d’impossible."

Dans tous les cas, une bonne intégration est liée à un bien-être : "être bien dans sa peau", "trouver un équilibre"...Yasmine rajoute : "L’intégration, c’est réussir à vivre entre deux cultures ! vivre dans le pays où l’on vit, sans oublier ses origines, sans être mal dans sa peau. Mais l’intégration ce n’est pas possible, pour les Français on ne sera jamais comme eux, et pour les Pakistanais, on ne sera jamais de vrais Pakistanais. On est en fait dans une autre culture, la nôtre, elle est à part. Les parents sont aussi un obstacle à notre intégration, il ne faut pas qu’ils soient trop stricts parce qu’au pays "c’est comme ça", et l’idéal serait aussi que les Français ne nous posent pas trop de questions à chaque fois que l’on ne peut pas faire quelque chose. Moi, je ne me sens du coup ni Pakistanaise, ni Française ! quand je vais au Pakistan, je suis à côté de la plaque, et c’est pareil en France, je ne me sens pas Française, je fais certes plein de choses comme eux, mais pas tout, en fait, dehors je suis Française, et à la maison je suis Pakistanaise !"

Après mes entretiens, et après avoir connue l’histoire de chacun, j’ai été amenée à poser le problème de l’intégration autrement que d’une manière "classique"; c’est à dire en évitant de ne pointer le doigt que sur la rigidité de la définition de l’intégration du côté des Français. On ne peut nier que la France attend de ses immigrés et de leurs enfants, une assimilation; les réactions violentes qu’avait engendrées le port du voile à l’école sont la preuve de cette attente - dans l’article de Hanifa Cherifi, "jeunes filles voilées : des médiatrices au service de l’intégration" publié dans la revue "Hommes et migrations"*, nous avons l’exemple flagrant de _________________________

* "Jeunes filles voilées : des médiatrices au service de l’intégration", Hanifa Cherifi. Revue Hommes et migrations, n°1201, septembre, 1996.

la politique de l’assimilation de la France. Le fait de porter le voile posait un véritable problème qu’il fallait corriger en l’interdisant, ou en envoyant des médiatrices dont le devoir était de persuader par le dialogue celles qui n’acceptaient pas d’enlever le voile même après l’interdiction. (p 1)"L’esprit de la circulaire du ministère de l’Education national étant de ‘convaincre plutôt que de contraindre’, il a été laissé à l’appréciation des chefs d’Etablissement le soin de faire respecter les recommandations du ministre en procédant à une modification du règlement intérieur invitant les jeunes filles à retirer leur voile. Beaucoup de jeunes filles se sont conformées à la nouvelle réglementation sans poser de problèmes. Cependant, une partie d’entre elles, plus radicale, a adopté une attitude de refus. Motivé par le désir de faire comprendre directement l’esprit et les motivations des jeunes filles renvoyées devant le conseil de discipline, le ministère de l’Education, sur les conseils de Simone Veil, a fait appel à deux médiatrices d’origine Maghrébine." Nous voyons par cet exemple à quel point la France voudrait voir les enfants des immigrés assimilés et très discrets dans leur pays d’accueil. D’ailleurs cette politique réussit assez bien, nous voyons que dans cette petite minorité des jeunes filles qui portaient le voile, une grande majorité s’est pliée aux règles - Tout cela est totalement différent de que l’on peut constater en GB où ce genre de comportement vestimentaire n’est qu’un détail sans importance, où l’intégration tend à une sorte de multiculturalisme, comme au Canada : la différence est justement travaillée, on n’attend guère des migrants qu’ils deviennent comme les autochtones, une grande liberté leur est laissée afin que ces derniers puissent garder leurs traditions assez ouvertement... Je ne sais si cette intégration est la meilleure ou non, mais je pense que les deux sortes d’intégrations sont à double tranchant. Neil Bissondath, un écrivain Canadien (descendant d’une famille originaire de l’Inde, installée au Trinidad) dans un essai* récent critique ouvertement et fermement la politique du multiculturalisme, souvent perçue par beaucoup d’immigrés comme étant une politique idéale pour les "étrangers", car elle serait plus apte à respecter leur différence. Son essai, à lui seul, est assez riche pour mettre en évidence tous les mauvais côtés d’un tel système. Il montre comment dans le multiculturalisme, on pousse les immigrés et leurs enfants à créer des clans à peu _________________________

* Le marché aux illusions - la méprise du multiculturalisme -, Neil Bissondath. Ed. Boréal-Liber, (Canada). 1998.

près dans tous les domaines. Il donne un exemple assez flagrant et fort lorsqu’il parle d’une cafétéria d’une université au Canada, (p 36) "S’approcher de l’une ou l’autre de ces tables, c’était s’immiscer dans un clan. C’était empiéter sur le territoire officieusement délimité par des tables disséminées de manière que chaque groupe, défini en fonction de l’ethnie, de la culture ou de la religion, puisse jouir de sa petite enclave, de sa petite "patrie", protégé, pour ainsi dire, par des privilèges tacites." Cet exemple à lui seul surprendrait bien des immigrés de France habitués à la politique de l’assimilation. En France, je pense qu’il est impossible de voir une telle division dans les cafétérias des universités. Selon Neil Bissondath, cette politique désire voir l’immigré figé dans une "certaine image exotique" que l’on se fait de lui selon ses origines. Plus loin dans l’essai, il rajoute (p 39), "Officiellement, juridiquement, le Canada était un pays multiculturel. Ici, disaient-ils, vous n’aviez pas à changer. Ici, vous pouviez - et c’était en fait votre devoir - rester celui que vous étiez. Rien de l’insensé ‘melting pot’ américain, pas besoin de se faire une identité conforme aux nouvelles circonstances. Vous n’aviez pas à vous adapter à la société, c’est la société qui avait l’obligation de s’ajuster à vous." L’écrivain ne cessera de dire que l’immigré change, il écrit d’une manière très lucide une réalité que beaucoup de migrants ne veulent pas voir, (p 221) "La migration - l’acte de partir et s’établir ailleurs - crée en soi une expérience nouvelle, provoque en soi une transformation. On n’est tout simplement plus celui qu’on était auparavant. Croire qu’on n’a pas évolué, comme l’exige de nous le multiculturalisme officiel, c’est étouffer la personnalité, créer des stéréotypes, dépouiller l’individu de ce qui le rend unique : vous n’avez pas d’identité propre, seulement l’identité de votre groupe. On ne s’intègre pas vraiment à une mosaïque - les parties d’une mosaïque s’emboîtent les unes dans les autres pour créer un ensemble harmonieux -, on entre plutôt dans un zoo." Le muticulturalisme "forcé" qui entraîne les divisions profondes est fermement condamné par l’écrivain, et cela semble tout à fait compréhensible après les exemples qu’il donne dans son essai, et la description qu’il fait de la situation au Canada. Seulement, le multiculturalisme n’a pas que des mauvais côtés. Dans cet essai, on voit à quel point cet écrivain est lucide, mais je pense qu’il oublie de regarder l’aspect positif de cette politique. Un nombre considérable de personnes immigrées et leurs enfants voudrait avoir quelques repères communautaires dans le pays d’accueil, et parfois se retrouver "en groupe". Il donne lui même un exemple d’un jeune qui essaie de lui dire que grâce à ces repères communautaires au Canada, il se sent tout simplement mieux... Mais l’écrivain ne semble pas comprendre ce besoin, (p 222-223) "Un lecteur a répondu en expliquant que le multiculturalisme lui avait permis de se faire une idée de son identité, une idée de qui il était et d’où il venait; auparavant il ne savait rien de ses antécédents culturels, et jamais on ne lui avait enseigné la langue de ses ancêtres (...). Comment faire autrement que de m’interroger sur l’éducation qu’avait reçue ce jeune homme qui, avant le multiculturalisme, se croyait culturellement défavorisé : où étaient ses parents et sa famille pendant tout ce temps ? L’Etat avait-il la tâche de leur fournir une connaissance de son passé familial et de sa langue ancestrale ? C’est une question de responsabilité me semble-t-il - il est bien plus facile d’accuser un Etat abstrait que de tenir les siens responsables." Ce que dit Neil Bissondath est d’une certaine façon exact, mais la critique qu’il fait contre ceux qui voudraient se référer à un "groupe" est trop exagérée. Il semblerait vouloir lui même nier que les immigrés sont des individus différents les uns des autres, que si un nombre considérable désirerait comme lui, ne pas s’attacher à un "groupe" afin de ne pas créer des "ghettos", beaucoup d’autres voudraient ardemment avoir des "références communautaires" tout en sachant qu’ils ne sont pas dans le pays d’origine, qu’ils se trouvent bel et bien sur une terre nouvelle. Autrement dit, si tant d’immigrés et leurs enfants ont ce besoin, pourquoi penser que cela est anormal ? pourquoi penser que ceux qui recherchent ces repères ont eu des parents qui n’ont pas assez transmis leur culture ?... Certes, les parents sont les premières personnes qui transmettent cet héritage culturel, religieux et linguistique, mais il est tout à fait compréhensible que pour beaucoup de jeunes, cela ne soit pas suffisant. Certains ont tout simplement besoin d’avoir d’autres références que les parents et la famille.

Le besoin de se regrouper ne veut pas d’emblée signifier que les jeunes (ou les parents) voudraient former des clans...

Concrètement, l’assimilation ne donne la liberté de garder une culture, une tradition, une religion que d’une manière très discrète, et tend même à une situation "idéale" où tout cela ne deviendrait que "folklorique." Cette volonté qu’a la France de voir ses immigrés, et particulièrement leurs enfants, assimilés, pose des problèmes au sein de la deuxième génération qui n’est pas prête à tout abandonner de ses traditions, et encore moins de la religion. Ils vivent, comme nous le verrons, une culture et une religion au quotidien. Elles sont certes modifiées, adaptées à un nouvel environnement, mais elles restent très vivantes, il est donc difficile que cela devienne folklorique du jour au lendemain.

Ceci étant dit, les choses ne sont pas aussi simples. Pour une bonne part de la société française, l’assimilation ne veut certainement pas signifier que ce que l’immigré considère comme faisant partie intégrante de son identité (religion, traditions...) devienne folklorique, et seulement acceptable si ce dernier accepte de ne les montrer que de temps à autre; peut-être désire-t-elle simplement que l’immigré se plie au même comportement qu’elle : le comportement laïque. En effet, la France a développé une culture laïque; a séparé l’Etat de l’Eglise, et fait des Etablissements publics des endroits où personne ne doit afficher sa religion... Seulement cette culture a pris une telle ampleur, qu’elle ne touche pas seulement l’école, et c’est certainement cela qui pose problème : une majorité d’immigrés s’est adaptée sans grande difficulté à la tradition laïque des écoles, mais trouve qu’elle déborde en dehors des établissements. Les "regards étranges" (d’après les dires de beaucoup), posés sur les immigrés lorsqu’ils s’habillent traditionnellement ou portent un signe religieux, ou encore lorsqu’ils parlent leur langue dehors, sont souvent mal vécus. Les "regards significatifs" frustrent les immigrés et leur donnent le sentiment de ne pas être libres, ils se sentent obligés d’abandonner ou de rendre le moins visible possible ce qui leur est cher. Bien sûr, les jeunes ont moins cette frustration, mais elle est quand même ressentie. Il disent souvent qu’il leur faut taire leur religion et leurs traditions face aux Français, ou n’en parler que d’une manière vague et rapide, sans cela ils fuient...

Pour un nombre considérable de Pakistanais, l’intégration idéale serait que la France soit plus ouverte, et accepte la différence, que s’acculturer ne soit pas le prix à payer pour vivre "normalement"; ils donnent souvent en exemple l’Angleterre (pour son multiculturalisme), où l’on peut s’habiller comme on le souhaite sans attirer tous les regards, et où l’on peut pratiquer l’islam ouvertement. En effet, l’Angleterre est souvent citée lorsqu’ils parlent d’un idéal. Ceci dit, cet idéal n’est pas si enviable que cela, car la chose qui semble poser problème aux Pakistanais c’est qu’il y ait en Angleterre trop de Pakistanais !... Habitués à vivre isolément, le fait de se retrouver en grand nombre fait peur... Il y a là une contradiction assez surprenante. La manière de vivre des Pakistanais loin des "regards Pakistanais" leur permet de vivre plus librement, sans être jugés au quotidien par leur propre communauté.

Les jeunes issus de l’immigration se trouvent coincés entre la société française, qu’ils connaissent de près (ils ont par conséquent moins peur de celle-ci que leurs parents), et les demandes des parents, des demandes parfois trop fidèles aux modèles d’un Pakistan d’il y a vingt ans, mais qui, après tout ont contribué également à former les jeunes, et font aussi partie intégrante de leur personnalité.

Je reviens sur ce que je voulais dire plus haut; si les parents pointent du doigt uniquement la rigidité de la société française, les enfants eux, pointent du doigt aussi bien la société française que les parents. La réalité est que ceux qui se sentent plus intégrés sont les jeunes qui ont des parents plus ouverts d’esprit, qui les laissent faire plus de choses que d’autres (études, sorties, mariage d’amour accepté - même si cela ne doit se faire qu’entre Pakistanais -). Les parents ont donc un rôle fondamental dans l’intégration de leurs enfants. Les enfants dont les parents sont les plus stricts sont ceux qui se sentent le plus mal à l’aise en France. Il leur paraît impossible de concilier leur culture avec celle des Français. Il ne s’agit pas de dire que les parents devraient moins inculquer leur culture : les parents qui laissent leurs enfants plus libres ne sont pas des gens acculturés qui n’auraient pas transmis leur culture et leur religion à leurs enfants; ils l’ont simplement fait d’une manière plus adaptée au pays d’accueil, tandis que d’autres se sont renfermés et ont créé un monde très à part, qui ne ressemble pas non plus au Pakistan d’aujourd’hui. Mon entretien avec une femme de 50 ans illustre ce que nous essayons de comprendre.

"Quand on va au Pakistan, les gens rient de nous ! notre langue est restée vieille, on dit des mots qu’au pays on ne dit plus ! ça fait tellement rire que ça met mal à l’aise !... ça nous fait passer pour des paysans. Pour nos vêtements c’est pareil, ici, on est fières de les porter, ce sont nos vêtements ! mais là-bas, ils nous disent : vous venez d’Europe et vous vous habillez si mal ! ne sortez pas comme ça, c’est trop dépassé ! il faut être à la mode... la mode c’est ci, la mode c’est ça !... Et c’est exactement pareil pour nos pensées !... nous, fiers, on veut montrer qu’on a donné telle et telle éducation à nos enfants... et là-bas on se rend compte qu’ils ne sont pas aussi stricts avec leurs enfants.. que leurs enfants sont plus libres dans leur pays. Les filles voient leurs copines tellement plus souvent que les nôtres... vont à des anniversaires, rendent visite aux amies..., et les garçons passent des journées entières dehors, on les voit si rarement... Nous, l’immigration nous a rendus fous ! et parfois bêtes je crois. On oublie peut-être d’évoluer... ?"

B. Avant tout et selon tous : l’islam. Introduction à la deuxième génération, qu’en est-il de l’héritage religieux ?

Le Pakistan compte quelques 130 millions d’habitants, dont les 96,97% sont musulmans : 75/80% sont sunnites, et le reste est chiites ou Ahmadiyyas*. On trouve à peu près le même pourcentage de chrétiens que d’hindous : 1,55% pour les premiers, 1,51% pour les seconds, (les hindous sont plus nombreux dans le Sind). Enfin on compte dans le population 0,003% de parsis, 0;003% de sikhs, 0;003% de bouddhistes, et 1,12% d’ "autres" (les kalash font partie de cette catégorie).

Dans le pays, depuis quelques années, il y a une tension entre les sunnites et les chiites; ces derniers, même musulmans, se différencient de plus en plus les uns des autres. Pour comprendre les divisions, je rappelle l’origine de la différence de croyance entre ces deux groupes. Le sunnisme est largement plus suivi que le chiisme, et se voit comme étant l’orthodoxie islamique. Après la mort du Prophète, Abû Bakar devint calife de la communauté musulmane, ce qui ne signifiait pas qu’il succédait au Prophète sur le plan religieux. L’autorité religieuse se basait sur divers clercs que l’on appelle "ouléma", qui élaborèrent durant quelques siècles (qui suivirent la mort du prophète) un corpus à dominante juridique basé sur le Coran et la Sunna (les traditions : Hadiths concernant le Prophète et ses dires). Mais le corpus ne répondait pas à toutes les questions et l’on pouvait parfois rester sans réponse à ses problèmes, c’est pourquoi ils recoururent à l’ijtihad : la réflexion personnelle. Au 9ème siècle on reconnut quatre interprétations (officiellement) : celle de Malik ben Anas, d’Abu Hanifa, d’al Shafi, et d’Ahmad Hanbal.

Au Pakistan, c’est l’école Hanafite qui est la plus suivie. C’est celle qui est dite être la plus ouverte car elle fait appel à la réflexion personnelle si l’on reste sans réponse...

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* "Ahmadiya : Secte musulmane réformiste fondée par Mirza Ghulam Ahmad à Qadiyan en 1889. Cette secte prétend que Jésus ne fut pas crucifié mais se rendit au Cachemire où il mourut à Shrinagar. Ses sectateurs refusent la ‘guerre sainte’ (jihad) telle qu’elle est couramment acceptée; ils l’interprètent comme un combat essentiellement pacifique. Après la mort de son premier "khalif" en 1912, la secte se sépara en deux courants, celui des qadiyani qui reconnut le fils de Mirza Ghulam Ahmad, Mirza Bashir ud-Din, comme second khalif, et celui des ahmadiya de Lahore qui se rapproche de l’orthodoxie musulmane. Les Ahmadiya ont leur quartier général au Pakistan où ils fomentèrent plusieurs émeutes en 1953. Ses sectateurs, peu nombreux en Inde comme au Pakistan, se montrent d’ardent missionnaires de l’islam, surtout en Afrique. On les appelle parfois Faraizi au Pakistan où ils furent introduits par Shariat-Ullah à Faridpur, au début du 20ème s. Cette secte est considérée comme non musulmane depuis 1974." (p 36) Dictionnaire de la civilisation indienne, Louis Frédéric. Ed. Robert Laffont.

Le chiisme est né lui aussi après la mort du Prophète, et se base sur l’idée que la succession du Califat revenait à Ali (cousin et gendre du prophète); (p 16)"(...) une nouvelle forme d’autorité religieuse surhumaine lui avait succédé : l’imamat. Ali fut le premier imam, puis ses fils Hassan, et Hussein les deuxième et troisième. Mais à la mort du sixième imam Jafar al Sadiq en 750, une querelle de succession se produisait. Un groupe de chiites majoritaire reconnut comme septième Imam Musa al Qasim, alors que d’autres désignent son frère Ismail. Le premier groupe fut connu sous le nom de chiites duodécimains, le second sous celui de chiites ismaéliens..."*

Pour ce mémoire je ne pourrais aller plus en profondeur dans la description de ces courants (au sein des courants il y a encore des divisions...), ni parler des autres religions; dans ce chapitre, je tenterai de décrire la religiosité des Pakistanais en France, et plus particulièrement de la deuxième génération.

Lorsque les Pakistanais sont arrivés en France, leur plus grande préoccupation a été de préserver au mieux leur religion; tous se sont débrouillés comme ils le pouvaient pour faire lire aux enfants le Coran, les Hadiths, et leur apprendre la prière... La lecture du Coran ou des Hadiths se fait traditionnellement en arabe, et c’est ce que les parents ont perpétué à leur tour. C’est souvent un des parents seulement qui prend en charge cette éducation, la mère, si elle est elle-même éduquée, sinon le père. Il est aussi arrivé que les parents fassent appel à un étranger (imam Pakistanais ou arabe pour cette tâche - Au Pakistan, une grande majorité a reçu l’enseignement coranique par les imams -). La religion est ce qu’il y a de plus important pour les Pakistanais; tous (peut-être sans exception, du moins tous ceux que je connais) sont d’accord pour dire que c’est ce qu’il y a de plus fondamental, le reste ne peut jamais prendre le dessus... Il existe une sorte de passion pour l’islam. Il semblerait que les Pakistanais réussissent à trouver une identité dans la religion musulmane. Ils sont "avant tout musulmans" comme ils le disent souvent. Cette idée et conviction les aident à fermer les yeux sur un sujet tabou : ils vivent et pensent au quotidien à "la façon indienne".... Comment peut-on nier que dans l’islam indo-pakistanais, il y a pénétration d’idées hindoues ? - Beaucoup de rites sont accomplis avec des offrandes de fleurs... Dans le soufisme, nous trouvons la pratique du Yoga, des exercices _________________________

* Le Pakistan, Michel Boivin, Que sais-je ? op cit. p10.

physiques qui nous aideraient à atteindre la spiritualité. Et la société pakistanaise entière entretient depuis des siècles le système des castes... - Animés par un Islam indianisé, les Pakistanais sont dans les paroles pour un "islam pur" sans pénétration d’idées hindoues, mais au quotidien, ils vivent aisément dans ces "traditions indiennes". Cette contradiction a été transmise à la deuxième génération. La transmission de l’héritage religieux se fait tôt. Au Pakistan, les enfants sont envoyés dès l’âge de 4-5 ans chez des imams (ou encore les imams se déplacent) pour cette instruction. En France les parents se sont aussi mis très tôt à enseigner l’islam. Même s’ils ont dans une grande majorité dû faire face seuls à toute cette éducation des enfants, l’amour qu’ils portent pour la religion ne pouvait être mis de côté.

Cependant n’allons pas penser que tous ont donné une éducation religieuse assidue dans le sens intégriste. La question sur la religiosité ressemble quelque peu à la question de la langue (que nous verrons plus tard). Certes, les parents ont donné une éducation religieuse à leurs enfants, mais ne l’ont pas donnée avec la même intensité : Comme nous venons de le voir, ils pensent tous que l’islam est ce qu’il y a de plus essentiel à transmettre pour eux; mais chacun a transmis cet héritage à sa manière, a donné plus ou moins de son temps à cet enseignement, s’est dirigé vers un islam plus ou moins modéré et adapté au pays d’accueil : Certains se sont vus lire le Coran, faire la prière très régulièrement - certains parents obligent leurs enfants, même jusqu’à un âge avancé, à accomplir "les devoirs fondamentaux" d’un musulman - D’autres, au contraire, une fois qu’ils avaient lu le Coran et appris l’essentiel, se sont vus libres de faire ce qu’ils voulaient. Une minorité de jeunes n’ont lu ni le Coran, ni aucune Hadith, mais ont une sorte de tradition musulmane. C’est souvent le cas des gens non éduqués que l’on trouve surtout au sein de la première génération (parmi laquelle on voit souvent un parent alphabétisé et un autre analphabète). Ceci dit, même celui qui ne sait pas lire connaît la prière par coeur, ainsi que des "conduites de vie islamiques" qu’ils ont écoutées dans leur entourage (il ne faut oublier qu’au Pakistan comme en Inde, il y a une tradition orale très forte). Il en est de même pour ces jeunes que je viens de citer.

La question que je pose dans ce chapitre est la suivante : les jeunes de la deuxième génération se différencieraient-ils de leurs parents, en ce qui concerne leur manière de pratiquer l’islam ?

Mon observation et mes entretiens me poussent d’emblée à répondre positivement. Les jeunes ont un besoin de connaître l’islam d’une manière plus rationnelle, ce qui passe par l’abandon de la langue arabe. Beaucoup se révoltent presque vis-à-vis de cette langue qu’ils apprécient et respectent (car c’est la langue dans laquelle le message de Dieu a été reçu et écrit, c’est aussi la langue maternelle du prophète), mais elle ferait pour eux obstacle à la compréhension de l’islam. Cette attitude vis-à-vis de l’arabe remet en question toute une tradition d’apprentissage de l’islam qui s’est perpétuée depuis des siècles au Pakistan ! Les Pakistanais ne parlent pas l’arabe, pourquoi lisent-ils alors dans cette langue le Coran et les Hadiths ? car il n’est pas seulement question de lire aveuglément, mais de comprendre ce qu’on lit, et d’apprendre à réfléchir par soi-même... selon beaucoup de jeunes, il est par conséquent tout à fait logique, de commencer à lire dans une langue que l’on comprendrait, sans aucune culpabilité.

Ainsi beaucoup de jeunes ne préfèrent plus lire en arabe, et laissent la place à la langue française dans l’islam. A leur tour, ils éduquent leurs parents, et corrigent leurs fautes, essaient de leur expliquer qu’ils devraient lire tout ce qui se rattache à l’islam dans leur langue (pour eux, en ourdou)... Les jeunes essaient de faire la part entre ce qui est raconté et ce qui est écrit. Il y a en effet une sorte d’éveil, aussi bien ici qu’au Pakistan, mais parmi les jeunes en France, cela est plus flagrant encore. Si la majorité est sunnite, un bon nombre se dit être "simplement musulman"; les lectures des Hadiths sont souvent source de désillusions, car contradictoires (et contredisant parfois aussi le Coran); elles ne peuvent pas satisfaire un esprit à la recherche d’une certaine rationalité.

Nous pouvons dire que si les parents continuent à être de "bons sunnites", ce n’est pas le cas de nombreux jeunes. Toutefois certains se diront être de tradition sunnite.

Ceci étant dit, cette identité est assez complexe à étudier, car elle a tendance à changer par rapport à une situation donnée, et par rapport à son interlocuteur aussi... J’ai souvent remarqué que devant un événement tragique touchant la communauté Maghrébine en France (meurtre d’un jeune Maghrébin par un agent de police par exemple) ou encore face à un refus de permission de construire une mosquée, les Pakistanais de première ou seconde génération se sentent directement visés, et fixent leur identité comme étant une identité d’ "immigré musulman", se confondant alors aux Maghrébins, à la majorité musulmane. Cependant, lorsqu’ils sont en désaccord avec ces derniers (souvent les accusant d’être la cause du racisme par leur soit disant "délinquance"...), ils se différencient d’eux, et deviennent "Pakistanais", "Sud Asiatiques", qui sont souvent perçus comme étant des immigrés discrets. Il en est de même pour les divisions religieuses, les Pakistanais, bien que géographiquement plus proches des iraniens, devant eux se déclarent avant tout "sunnites".

Quoiqu’il en soit, les jeunes de la seconde génération sont souvent ouverts d’esprit, et ont très bien su adapter leur croyance au pays d’accueil, ils disent eux-mêmes qu’ils ont une manière différente de croire à l’islam. (Ali sera le seul à dire qu’il n’a pas vraiment de religion).

Shabnam : "C’est mon père qui nous a appris le Coran, et les prières; ma mère est analphabète, elle n’a jamais lu le Coran, mais connaît la prière, et pas mal de choses qu’on lui a racontées, qui se contredisent... Mais ça c’est le problème de la majorité des musulmans, qu’ils aient lu ou non le Coran et les Hadiths... ils croient des choses sorties de je ne sais où, et y croient dur comme fer. Ils aiment cet islam là... peu d’entre eux essaient de se remettre en question, mais en ce qui concerne mes parents, depuis qu’à la maison on a commencé à rechercher un Islam cohérent, on leur explique des versets, on discute de tout ce qu’on a appris et qui ne tient pas debout... Mes parents qui étaient comme "tous les Pakistanais", comme tous les sunnites, croyaient un peu à tout ce qu’on leur disait (il suffisait que quelqu’un leur dise "le prophète a dit.." pour qu’ils le croient) eh bien ! aujourd’hui grâce à nous, ils ont un sens critique, et ne croient plus à n’importe quoi, je suis fière d’eux, vraiment, eux qui n’avaient jamais pu avoir un peu l’esprit critique vis-à-vis de tout ce qu’ils entendaient de la part des imams et autres inconnus... sont davantage comme nous ! Mais je dois rajouter qu’avant d’en arriver là, je suis passée par un moment où j’ai tout remis en cause, laissé la religion dans un coin, c’était nécessaire pour me retrouver, et savoir vers quel genre d’islam je voulais me diriger. Pour moi, il n’est pas important de faire les prières, il suffit de penser à Dieu avec son coeur quand on en a envie, c’est plus honnête que de se forcer à la faire d’une manière visible, la faire et penser à autre chose, puis se vanter dans son entourage qu’on fait régulièrement la prière; le Coran il ne faut le lire que dans une langue que l’on comprend, sinon c’est une perte de temps, et je ne pense pas que Dieu ait voulu qu’on lise bêtement son message."

Nous verrons tout au long des entretiens que les jeunes recherchent un "islam rationnel", et sont moins pratiquants que les parents.

Noor : "Je fais la prière quand je le peux, et essaie d’avoir un islam rationnel, et garder ce qui est essentiel... je ne m’intéresse pas aux toutes petites choses que les sunnites recherchent souvent... Mon père par exemple, il se réunit avec d’autres sunnites toutes les 2 ou 3 semaines et ils discutent de choses incroyables pendant des heures et des heures !... comment mettre les mains pendant la prière, comment se baisser etc.... c’est fou, il m’arrive de lui demander si ça ne lui dit pas de parler de choses plus intéressantes, plus profondes, plus intellectuelles ! mais non, il ne me comprend pas, il dit que c’est moi qui ne comprends pas. Moi, je n’ai vraiment pas compris comment on nous a appris l’islam, ça ne m’a pas satisfait, mon père avait employé un imam Pakistanais et ce dernier venait à la maison, nous faisait lire le Coran en arabe, nous donnait des cours d’ourdou et repartait chez lui, mais je suis restée toujours sans réponses, d’ailleurs je n’osais pas demander, on nous disait si souvent qu’on ne pose pas autant de questions !"

Il faut de toutes façons garder en mémoire que ceux qui pratiquent l’islam assidûment sont minoritaires. Aminah Muhammad, dans un article* récent souligne aussi qu’au sein de la communauté indo-pakistanaise de New York, les pratiquants sont peu nombreux : (p 4) "Certes, l’identification à l’islam ne s’accompagne pas automatiquement d’une observance plus importante dans des proportions très significatives; puisque seuls 20% à 30% des immigrants se sont targués d’être des pratiquants réguliers. Le pourcentage est plus bas encore au sein de la deuxième génération."

Yasmine : "Je suis la dernière de la famille, mes frères et soeurs sont passés par l’éducation traditionnelle, une fois grands; ils ont recherché leur propre Islam, et ont finit par quand même changer mes parents, et moi je ne suis pas passée par tout ça, je n’ai jamais lu le Coran en arabe, mais je le lis en Français, j’en suis à la moitié, à 17 ans, je suis en retard, mais pas vraiment quand même, je sais que les aînés n’ont pu le lire en Français qu’à un âge avancé; de toutes façons je dois cette "tranquillité" à mes frères et soeurs. Grâce à eux, je crois depuis le début à un islam rationnel et non à des contes de fées. Dans les religions, on a beaucoup affaire à des symboles, on ne doit pas tout prendre au pied de la lettre."

Shakeela :"J’ai toujours voulu savoir ce que je lisais, et je me dis qu’un jour je voudrais le Coran en Français, mais je ne sais pas s’il y a une réelle bonne traduction, des fois je vois des traductions qui ne me satisfont pas... Je fais souvent la prière, ça m’apaise, et puis comme on n’est pas parfait, il faut continuellement se faire pardonner. Mais je dois dire qu’un moment donné j’ai tout laissé tomber... Je me suis fâchée avec Dieu, puis réconciliée."

Ali : "Je n’ai pas de religion, ou pas vraiment, je me souviens que mon père a essayé de nous apprendre les prières auxquelles on ne comprenait rien, je suis allé dans une mosquée une ou deux ________________________

* "Les musulmans du sous-continent indien à New-York : le religieux, marqueur ultime de l’identité ?" in La transmission du savoir dans le monde musulman périphérique, Aminah Muhammad (Groupe de recherche 012 du CNRS. EHESS). Lettre d’information n°18. Septembre 1998.

fois dans ma vie, quand j’étais jeune, et j’ai fait le ramadan pour la première fois l’année dernière, pour voir. Je ne mange pas de porc, ne bois pas d’alcool, ça s’arrête là. J’ai une vision très pragmatique des choses, le porc est une viande qui donne du cholestérol, l’alcool rend dépendant comme la cigarette d’ailleurs. Difficile à dire si je crois ou non en Dieu, j’ai l’impression que Dieu est en nous, qu’il faut le rechercher pour avancer. En tout cas je n’ai pas la vision d’un Dieu avec une barbe blanche qui commanderait et auquel on devrait obéir; quant au Coran, j’ai essayé de le lire mais c’est une lecture difficile, et surtout lorsqu’il s’agit de l’interpréter. La vérité dans un livre, je n’y crois pas tellement. Toutefois, le Coran est encore pour moi un mystère aussi bien dans la façon dont il est apparu et s’est construit que dans la façon dont on doit (ou l’on peut) le lire. Mais je crois que je n’ai pas la maturité nécessaire pour le lire ? La seule histoire qui m’a vraiment impressionné, c’est lorsque le prophète en se réveillant, a vu un chat dormir sur sa tunique (ou ce qui servait comme telle) et a préféré découper un morceau de son vêtement plutôt que de le réveiller. Mais cette histoire n’est pas dans le Coran, enfin, je crois."

Les cinq prières ne sont donc régulièrement faites que par très peu de musulmans. La majorité se contente de quelques prières quand elle le peut, après quelques jours d’intervalle, ou par période... Une femme de la première génération illustre très bien cela, et ose être franche : "Je suis tous les jours à la maison, mais j’ai une paresse incroyable à faire toutes les prières... Je ne suis pas la seule à être dans ce cas. Toutes les Pakistanaises restent des journées entières à la maison, mais qui sont celles qui font les cinq prières ?... Et puis, vous savez, il faut la faire avec son coeur, beaucoup se forcent à la faire, et là... je ne sais pas si c’est vraiment une prière. Même le prophète l’a dit, il faut qu’elle vienne du coeur."

Les hommes ont pour excuse le travail; la fatigue serait la raison principale qui les empêcherait de faire les prières.

Sur ce sujet, la première et deuxième générations se ressemblent fort. Tous savent faire les prières mais peu les font régulièrement; et un nombre considérable ne les fait que rarement. En fait tout cela dépend beaucoup de l’atmosphère qui règne dans chaque foyer. Noor dit que son père ne laisse personne oisif, il suffit que tout le monde soit à la maison, pour qu’il mette un grand tapis par terre et appelle toute la famille pour accomplir la prière.

"C’est le vendredi, ou surtout le week end, il nous appelle pour les cinq prières, et fait l’adhan (l’appel à la prière) lui-même à la maison, mon beau-frère qui vient du Pakistan ne comprend plus rien, lui qui a grandi là-bas, n’a jamais fait autant la prière de sa vie ! "

D’autres ne se sentent pas concernés par une obligation de ce genre :

Shabnam : "Mon père fait les prières très très souvent même s’il travaille, il fait de son mieux pour faire les cinq, il les rattrape en fait, mais il ne nous a jamais dit d’en faire autant, il nous a enseigné l’islam quand on était jeunes et aujourd’hui il nous laisse le pratiquer comme on le veut..."

Le jeûne, est souvent assidûment accompli par la première génération, et irrégulièrement par la deuxième génération. En effet, un nombre considérable de personnes fait le ramadan, mais ne le fait pas forcément entièrement. Le ramadan est plus comptabilisé comme quelque chose de religieux que culturel, et est accepté comme étant quelque chose de très bénéfique pour le corps; certaines filles voient dans cette pratique une excellente manière de perdre quelques kilos, et les garçons voient cela comme une sorte purification du corps; ceci dit, la raison première de l’accomplissement du jeûne est d’ordre religieux. Cependant, contrairement à beaucoup de jeunes issus de l’immigration Maghrébine, le ramadan n’est pas vu comme quelque chose à accomplir assidûment. Bien des idées semblent circuler sur ce sujet en ce qui concerne le comportement des Maghrébins vis-à-vis du jeûne. Il n’est pas rare d’entendre un Pakistanais de la première ou deuxième génération dire que les Maghrébins ne savent faire que le ramadan, que pour eux l’islam se limite à cela :

Shabnam : "J’ai beaucoup de respect pour les Maghrébins, je les aime beaucoup, seulement leur grand défaut c’est qu’ils pensent que comme ils sont "Arabes" (alors qu’ils ne le sont pas tous !), ils

connaissent et pratiquent mieux l’islam que nous; ils nous voient comme une sorte de nouveaux "musulmans", ou des "musulmans-hindous.".. Il m’est arrivé de me disputer sur ce sujet avec certaines filles, qui pendant le ramadan arrêtaient de fumer et de boire, et reprenaient tout ça après le ramadan, d’ailleurs à part le ramadan, elles ne faisaient rien d’autre. On aurait dit qu’être musulman c’était que pendant un mois de l’année. Moi, pendant, le ramadan, je me maquillais comme j’ai l’habitude de le faire, et ça ne leur plaisait pas, pourtant, on a le droit de se maquiller, mais ils veulent nous enseigner leur "vrai islam", j’ai vraiment cette impression."

Les Pakistanais vont rarement dans les mosquées pour faire leurs prières, ils n’ont pas le temps - disent-ils -, et n’ont pas non plus les locaux nécessaires. Dans la majorité des villes où il y a une communauté musulmane assez importante, on trouve un petit local délabré, mais arrangé et vivant grâce à quelques personnes qui en ont la charge. Il n’est pas vrai de dire que "les mosquées" (ces petites pièces) sont source de "non intégration" des migrants et de leurs enfants, car premièrement, les locaux, (ou mosquées) n’ont majoritairement pas une politique rigide. Jamais nous n’entendrons une parole contre la France, ou des paroles intégristes contre qui que ce soit; les personnes qui s’y réunissent sont le plus souvent les immigrés aux chômage, ou des retraités qui se réunissent entre eux pour retrouver une sorte d’atmosphère qui leur rappelle leur pays, oublier leur solitude, et faire simplement ce qu’ils ont fait toute leur vie : la prière, écouter un peu l’imam, parler avec leurs amis de leur vie, de leur quotidienneté, et repartir chez eux. Cette image des jeunes qui restent dans les mosquées pour s’endurcir et poser des bombes est plus un fantasme qu’autre chose, car la réalité est que la grande majorité des jeunes de la deuxième génération est absente des mosquées. Il suffit d’aller voir dans n’importe quelle mosquée pour se rendre compte de ce fait ! Le seul moment où on les aperçoit, c’est le jour de l’Eid, c’est peut-être l’unique jour où il n’y a plus de place dans les locaux, où même les grandes mosquées sont pleines; c’est le jour où ils vont tous faire la prière de la Eid, première et deuxième générations, garçons et filles; et pendant cette prière, il n’est question que de joie, il ne viendrait à l’idée de personne de tenir des propos qui gâcheraient la Eid !...

Les Pakistanais partagent les mêmes locaux que les Maghrébins, il n’y a pas de liens très profonds entre les Pakistanais et les Maghrébins, mais ils sont tout de même très importants; généralement ils s’entendent bien. Il y a même un nombre considérable de mariages mixtes entre Maghrébines et Pakistanais de la première génération, (nous verrons pourquoi il en n’est pas de même pour la deuxième génération dans le chapitre mariage), ce qui n’est pas le cas par exemple entre les Maghrébins et les Turcs... Les Turcs ont souvent leurs propres locaux, des pavillons achetés par la communauté qu’ils ont transformés en mosquées; il est par conséquent rare de les voir dans les locaux tenus par les Maghrébins.

On ne ressent que chez très peu de Pakistanais le besoin d’avoir une "mosquée Pakistanaise". Ils se contentent de ce que les Maghrébins ont; seuls ceux qui vivent avec beaucoup d’autres familles Pakistanaises proposent et essaient de faire une mosquée pakistanaise :

Noor : "Nous avons vécu là où il y avait beaucoup de Pakistanais, mon père a dès le début proposé aux hommes d’acheter ensemble un appartement et d’en faire une mosquée, et aussi un lieu où les enfants pourraient apprendre à lire et écrire l’ourdou, mais les gens au début se sont moqué de cette proposition... Aujourd’hui, on habite un village, pas très loin de Garges... mon père continue avec d’autres d’essayer de mettre sur pied cette même idée, ils veulent récolter de l’argent, acheter un pavillon là où les Pakistanais pourraient venir facilement, entre Sarcelle et Garges, depuis trois quatre ans on récolte l’argent. Ils vont faire comme les turcs. Cette mosquée serait aussi une sorte d’association pour les enfants, pour enseigner l’ourdou. Seulement on ne sait pas encore si ça sera aussi pour les femmes, les Pakistanaises elles ne sortent jamais de leur maison !"

Même si un jour on voit apparaître une mosquée pakistanaise, elle ne sera pas partagée par tous les Pakistanais, et la différence entre les Pakistanais isolés et ceux qui vivent en groupe deviendra de plus en plus flagrante.

L’intégrisme religieux dans la communauté pakistanaise est un phénomène très récent... qui ne touche qu’une minorité, mais qui ne doit pas être pris à la légère. Pour ces personnes "un retour aux sources" semble être la meilleure solution pour garder son "identité intacte". Il est important de préciser que ce phénomène touche surtout les plus jeunes couples de la première génération, qui voyant certains jeunes dévier, ou encore voyant les jeunes être "trop libres" selon leur goût, ne collant pas à leur image "d’un enfant Pakistanais", ont préféré devenir plus stricts envers leurs enfants. En effet la peur qu’ils éprouvent vis-à-vis de la situation de certains de leurs aînés les ont poussés à adopter dès le début une conduite de vie très différente et intégriste; leurs enfants dès le plus jeune âge doivent chaque jour lire le Coran, faire les prières, lire les Hadiths et les suivre à leurs réunions où il y a un lavage de cerveau évident. Ces réunions sont organisées chez des particuliers. Dans une chambre on trouvera les femmes, dans une autre chambre les hommes; on discutera de l’islam, "le vrai islam", on discutera des problèmes des autres qui seront souvent jugés d’une seule manière : " ils ont oublié de donner la vraie éducation, une éducation stricte est nécessaire... ce sont des gens trop libres..." Parfois des imams venus d’Angleterre ou du Pakistan sont invités. Ils racontent rarement ce qui est écrit dans le Coran, et se contentent de répéter les Hadiths qui les arrangent, où il est souvent question de châtiment... Les imams qui viennent du Pakistan sont souvent là pour faire de la politique... Tout en ignorant les problèmes des migrants, ils se pensent être les meilleurs conseillers et juges. Ce groupe de Pakistanais qui a choisi de ne vivre que dans une religiosité stricte, ne reste souvent plus qu’entre eux, et regarde les autres Pakistanais d’un air hautain.

Un homme d’environ 35 ans dit :

"Je sais que je suis dans la bonne voie, et que les autres n’y sont pas, je remercie Dieu, nous sommes des élus*1, nous aurions très bien pu rester comme les autres, à regarder des films, travailler et ne jamais penser réellement à Dieu... Non, maintenant c’est la vraie vie, on travaille le moins possible pour nous, je me consacre à Dieu, je fais les cinq prières, je lis le Coran, je vais dans les mosquées, je vais écouter les imams, je vais aussi chez les Pakistanais pour leur rappeler qui on est, je leur dis de venir avec nous... Mon fils deviendra Imam, grâce à l’islam il se sera protégé de tout ce qui est mauvais, de toutes les mauvaises habitudes. Nous, nous irons au Paradis*2."

En effet, le seul contact qu’ils ont avec les autres Pakistanais, c’est d’aller chez eux de temps à autre et d’essayer de les convaincre de rejoindre leur groupe. Une majorité d’entre eux suit les idées de la jamat-i-islami*3..., et ce réseau semble être très secret pour ceux qui ne rentrent pas complètement dans le groupe...

Ces hommes sont souvent habillés en shalwar kamiz, et leurs femmes se voilent non plus d’un dupatta*4, mais d’un grand tchador*5, ou ont opté pour le voile arabe (souvent blanc, notons que ce voile là n’existe pas au Pakistan). Dans ce groupe nous trouvons aussi des Pakistanais qui ont soudainement changé lorsque leurs enfants ont commencé à atteindre la puberté; en effet, ils se sont tournés vers la religion pour ne pas les voir s’occidentaliser. C’est le cas de l’homme dont nous parlerons plus tard, qui est fier de voir son fils être plus religieux que lui. Son fils est l’un des rares Pakistanais de la deuxième génération à porter la shalwar kamiz dehors (signe de _________________________

* 1,2. Il faut simplement noter que ce genre de phrases peut choquer la majorité des musulmans, car dans l’islam il est interdit à une personne de dire elle-même qu’elle ira au paradis (car Seul Dieu juge cela); et le mot "élu" n’est employé que pour les prophètes, jamais pour des personnes ordinaires.

* 3. La "Jamat-i-islami" est initialement une société religieuse musulmane, créée en 1941, à Lahore. Ce sont quelques ulémas qui fondent cette société dont le but est de promouvoir les principes moraux de l’islam. Après la partition de l’Inde, la Jamat-i-islami continue à exister, et à avoir une influence sur les gens. Elle publie souvent des ouvrages en anglais, mais aussi dans diverses autres langues. Aujourd’hui, Qazi Hussein Ahmad est à la tête de la société, qui en fait est devenu un vrai parti politique. Qazi Hussein Ahmad qui a un charisme assez puissant, influence de plus en plus de personnes et notamment ceux qui sont hors de leur pays. Mais il faut savoir qu’à côté de la Jamat-i-islami, il y aussi un autre mouvement qui fait son poids : le Lashkar-i-Taiba. A cause du déclin économique du Pakistan, et de la corruption présente pratiquement partout, les partis religieux qui promettent un avenir meilleur et surtout plus propre, attirent le peuple. La situation dans laquelle est le Pakistan à présent nous fait comprendre pour quelle raison les gens, désormais désabusés, se dirigent vers des partis fondamentalistes. Et l’influence qu’ont ces partis dans le monde entier au sein des communautés immigrées sont aussi un écho de cette situation. En se liant à ces partis, en les aidant financièrement, les migrants pensent aider le Pakistan, et en même temps pensent pouvoir garder leurs enfants plus près d’eux, de leur religion et culture. Se "rallier" à des partis fondamentalistes, est pour eux doublement "bénéfique".

* 4,5. Le dupata est un long voile fin de diverses couleurs, porté autour du cou ou sur la tête; le tchador est un voile fait d’un tissu épais, souvent noir ou blanc.

rejet de tout ce qui est européen pour lui). Il pense retourner au Pakistan pour ne pas commettre le péché de rester dans un pays aussi libre que la France... - Notons aussi que sa soeur de 15 ans sera d’ici quelques mois envoyée au Pakistan, où elle ne se destinera qu’à la religion. Lorsque je l’ai rencontrée, elle était habillée d’un jalaba, et portait le voile islamique. Elle me dit avec fierté : "j’ai influencé autour de moi d’autres filles de mon collège à se voiler. Je leur ai dit qu’il fallait qu’elles soient courageuses. Moi, je vais arrêter mes études. C’est fini. Je vais partir au Pakistan en hiver; je vais rester à la maison, et me consacrer exclusivement à l’islam. Le savoir n’est utile que s’il est lié à notre religion." -

Je désire donner un dernier exemple d’une femme qui fait apprendre à ses enfants des formules "anti-France." Avec grande fierté, elle s’adresse à sa fille qui a environ 8 ans, et lui demande... qu’est-ce que la France ? la France ? répète-t-elle et attend que son enfant termine la phrase. Sa fille répond spontanément : "la France c’est mauvais, la France c’est sale !", fière, la mère fait un sourire de satisfaction et regarde son entourage.

Je pense que si dans les dix ans à venir les Pakistanais sont nombreux à être intégristes, ce ne sera pas très étonnant. Actuellement c’est un phénomène qui connaît une évolution constante... ce phénomène s’arrêtera-t-il là ou prendra-t-il une forme plus massive ? Il est évident qu’on ne peut pas répondre à cette question pour l’instant. Ce qui est évident c’est que ce groupe ne voit que cette unique solution pour résister à l’occidentalisation.

Ceci étant dit, rappelons qu’à présent une grande majorité de Pakistanais pratique un islam non intégriste, et qu’il existe au sein de cette majorité une très grande diversité de croyances. Au sein d’une unique famille la religion est souvent pratiquée de manière différente. Et on note une dissemblance selon que l’on est une fille ou un garçon.

Par exemple les interdictions coraniques pesant sur le comportement sexuel peuvent être un exemple très flagrant pour montrer la disparité entre ce que la communauté accepte de la part d’un musulman et ce qu’elle exige de la part d’une musulmane.

La virginité jusqu’au mariage dans les écrits islamiques est une obligation pour les deux sexes. Mais elle n’est essentielle (fondamentale) que pour les filles, aussi bien en France, au sein de la communauté musulmane dans son ensemble (maghrébine, pakistanaise, turques...), que dans les pays musulmans. L’honneur de la famille entière repose essentiellement sur la virginité de la fille, elle est respectable ou non selon ce critère. Une fille qui prendrait le risque d’avoir des relations physiques avant le mariage, prend le risque d’être répudiée le lendemain de ses noces, ou encore d’être soumise à la honte une vie entière; son partenaire lui reprochera constamment sa "bassesse". En effet aucune femme non vierge n’échappera alors à des propos dégradants durant toute sa vie. Aminah Muhammad, dans sa thèse "Les Sud Asiatiques aux Etats Unis"*1 parle aussi de l’importance de la virginité des jeunes filles dans la diaspora indo-pakistanaise aux Etats-Unis, (p 30) "les jeunes filles sont encouragées à éviter les liaisons intimes avec le sexe opposé. Comme le souligne Farhad Khosrokhavar, la femme garantit par la préservation de sa virginité l’honneur de la famille. Si elle transgresse ce principe, elle s’expose au risque de voir s’éloigner les prétendants de sa communauté."

La virginité est extrêmement importante pour les filles qui ont grandi en France, et il est aussi important pour un Pakistanais d’ici que pour un Pakistanais du Pakistan d’épouser une fille vierge. La virginité d’une fille est le symbole même du sérieux de cette dernière, et cela lui permet (normalement) d’avoir en retour une confiance absolue de la part de son partenaire.

Au yeux de la communauté musulmane, une fille vierge et une fille non vierge sont simplement incomparables.

Les filles elles-mêmes semblent parfaitement accepter cela. Voyons ce qu’une étudiante de 23 ans dit sur ce sujet :

"Une de mes amies est allée au Pakistan pour assister à un mariage, comme ils sont d’une famille très riche, c’était un mariage qui ressemblait fort à un mariage européen, la fille n’était pas habillée en rouge*2, elle avait une sorte de robe blanche, et les invités, filles ou garçons fumaient... tu te rends

compte, même les filles ! moi je fume de temps à autre mais, je suis ici, c’est dans un cadre complètement différent, mais laisse tomber ça, le plus choquant c’était que cette femme n’était pas vierge, et tout le monde le savait. Ca me choque, une fille non vierge, et qui a grandi au Pakistan !...

Quand mon amie m’a dit ça, j’ai été choquée, être vierge c’est tout pour moi, je ne suis rien si je ne suis plus vierge, jamais je ne ferais quelque chose avant le mariage... La virginité c’est une identité pour moi."

_________________________________

*1. Les sud-asiatiques aux Etats-Unis, Aminah Muhammad, op cit. p39.

*2. Dans le Contient Indien, la mariée est traditionnellement habillée en rouge, et le marié en blanc. Mais il arrive que les deux portent ce jour là d’autres couleurs. Le marié sera alors habillé en noir, et la mariée soit en blanc (blanc cassé, et doré), soit en vert, ou encore bleu ou rose.

Toutes mes interlocutrices diront à peu près la même chose : la virginité est fondamentale, et doit être préservée jusqu’au mariage. Pour elles, ce comportement est supérieur à celui des européennes :

Shabnam : "Je n’ai jamais eu envie de ressembler à une Européenne sur ce comportement là, la virginité c’est très important, l’amour doit aller au delà de cette attirance physique, d’ailleurs la meilleure manière de tester l’amour de quelqu’un c’est de voir si cette personne peut rester avec vous

sans vous demander ça, s’il elle le peut c’est qu’elle vous aime vraiment, ce garçon aime alors avant tout votre âme, et il a du respect pour vous. La virginité c’est ce que vous pouvez donner de plus beau à votre mari. C’est la preuve que vous êtes une fille digne de confiance, fidèle, et si c’est quelqu’un de bien il vous le revaudra. Même si je n’étais pas musulmane je n’aurais pas donné mon corps si facilement, après tout même ici une fille qui donne son corps à n’importe qui n’est pas une fille qu’on respecte vraiment, d’ailleurs beaucoup d’européens apprécient ce comportement, contrairement à ce qu’on voudrait croire, beaucoup de garçons disent que c’est vraiment bien d’être comme on est..."

Un garçon reste très rarement vierge jusqu’au mariage, et avoir des relations physiques avec quelques filles ne semblent pas tacher son honneur, ni son image de "bon musulman"; le fait qu’il soit un garçon suffit pour que l’entourage et la communauté entière disent tout simplement que ce n’est pas grave. Ce comportement est accepté par tous, bien qu’il soit parfois contesté par certaines filles qui pensent que les garçons aussi devraient suivre les mêmes règles. Ce genre de contestations presque "gentilles" reste vaines, et les règles inégales ne sont pas sérieusement mises en cause.

Ceci étant dit, il faut à présent nuancer ce comportement des garçons, les relations intimes qu’ils peuvent entretenir avec les filles sont acceptables, mais un garçon qui aurait trop souvent des petites amies, ou irait voir des prostituées, se voit déshonoré; et peu de parents voudront donner leurs filles aux garçons qui sont sans le "minimum de principes", et "trop libres."

Cette différence de comportement entre les garçons et les filles est celle qui est la plus flagrante et la plus importante de toutes; les autres différences ne restent que des détails à côté de celle-ci; cependant si l’on peut parler d’une autre grande différence on peut citer l’interdiction de l’alcool. Les Pakistanais de la première ou deuxième génération sont nombreux à boire, tandis que les Pakistanaises sont rarissimes. L’idéal reste un homme qui n’aurait jamais touché à l’alcool. Et un homme qui boira trop régulièrement se verra en difficulté de trouver une épouse, car considéré comme non fiable et mauvais, il ne sera jamais vu d’un bon oeil.

Quant à l’exigence de nourriture halal*1, le comportement des Pakistanais ici, reste assez spécifique à la France. Un très grand nombre de la première et deuxième générations consomme aussi bien de la viande halal, que non halal, (à l’exception du porc), ce qui par exemple ne se fait pas en GB où une majorité ne consomme que de la viande halal. Je ne saurais dire pour quelle raison il en est ainsi... Peut-être cela est-il dû au fait que les Pakistanais vivent dans l’isolement, et que les migrants qui vivent loin de leurs pairs s’assimilent finalement plus vite que ceux qui vivent en grand nombre dans un pays d’accueil ?... Aminah Muhammad, dans sa thèse*2 sur la communauté indo-musulmane aux Etats-Unis, constate le même comportement des indo-pakistanais. Elle écrit : L’exigence de nourriture halal fait plus souvent, en revanche, l’objet de transgression. Quant à l’interdiction pesant sur l’alcool, elle est aussi plus fréquemment violée, ce qui d’ailleurs souligne une similitude de comportement à la fois avec la première génération et avec les jeunes musulmans d’Europe". Lorsque je suppose que ce comportement est peut-être dû à l’isolement de la communauté pakistanaise, je ne me sens pas tout à fait convaincue. Car si ce comportement est surtout dû au fait que les migrants ne sont pas exposés au regard de leurs pairs, pour quelle raisons alors les Maghrébins qui eux, sont constamment en contact avec les leurs, transgressent autant cet interdit ? Pourquoi n’en serait-il pas de même pour eux ?...

_________________________

*1. Littéralement : ce qui est licite (tout ce que l’on peut manger ou faire). En ce qui concerne la viande, l’animal doit être égorgé, être vidé de son sang...

*2. Aminah Muhammad, op cit, p39.

CHAPITRE 2

LES CONTRADICTIONS D’UNE COMMUNAUTE; ENTRE L’IDEOLOGIE ET LA REALITE : CONTRASTE AU QUOTIDIEN ENTRE UN COMPORTEMENT DE "BON MUSULMAN" ET CELUI DE "BON TRADITIONALISTE."

A. Le système des castes, une hiérarchie embarrassante...

Si ce chapitre sur les castes est traité au début du mémoire, c’est parce qu’on ne peut parler de la communauté pakistanaise sans parler du système des castes, qui est profondément ancré dans la mentalité des Pakistanais, et qui prend concrètement une place aussi importante que la religion. Ce sujet est souvent très embarrassant, car pousser la discussion sur les castes pousse les gens à se remettre en question, et soulève de profondes contractions dans le noyau même de cette image de "bon musulman pakistanais" qu’ils se font d’eux-mêmes. La meilleure façon de continuer à être fidèle aux traditions embarrassantes est celle de fermer les yeux, et prendre les traditions comme quelque chose de naturel... que l’on ne désire pas forcément mais qui sont imposées. Cela enlève toute responsabilité, et rend l’individu "victime" de sa communauté. Cette attitude est choisie par un grand nombre, car c’est simplement l’attitude la plus facile à adopter. Le système des castes est l’une des choses les plus flagrantes qui différencient les Pakistanais des autres musulmans; il est inutile de dire que les Maghrébins, Turcs... sont profondément surpris lorsqu’un Pakistanais essaie de leur expliquer le système; et l’image qu’ils se font d’eux : les "musulmans-hindous", ne fait que prendre une ampleur un peu plus grande.

Je me propose de décrire le plus clairement possible les différentes castes dont on entend le plus parler. Bien évidemment, il n’est pas possible de rentrer dans les plus minutieux détails, dans ce mémoire.

Au Pakistan, le système des castes au sein de la communauté musulmane est recréée à partir du système des castes hindou.

Dans ce chapitre, il n’est pas question des citer les castes dans un ordre hiérarchique précis, car personne n’est jamais d’accord pour dire qui est "inférieur" à qui. Je séparerai les castes entre trois groupes : les castes reconnues comme supérieures, les castes dites inférieures par une majorité, et le troisième groupe qui est celui des "intouchables du Pakistan".

Tout les Pakistanais savent que les écrits islamiques proscrivent la hiérarchie et prônent l’égalitarisme*, mais cette hiérarchie si clairement définie et vue comme une fatalité au quotidien ne semble pas déranger les Pakistanais de "hautes castes" notamment, car pour ces derniers cela n’est qu’une question de tradition. Mais nous verrons plus tard que cela se nuance aujourd’hui.

Les "hautes castes" sont les suivantes (tous les noms sont donnés en langue panjabi):

-Jat : Propriétaires terriens; ils rajoutent à leur prénom le nom de "Chaudry", "Shima", (ce n’est pas systématique). On trouve cette même caste chez les Sikhs.

-Rajput : Princes, mais propriétaires terriens en grande majorité. On trouve cette caste chez les hindous.

-Arian : Descendants de l’armée Ibn Qasim, dont les troupes avaient été créées en Perse. Ils sont originaires de la Perse et sont devenus avec le temps propriétaires terriens. On ne trouve cette caste que dans le Panjab. Ils rajoutent à leur prénom le nom de "Chaudry", "Mian", "Mair", parfois "Khan."

-Shaikhs : Commerçants, ils se disent descendants d’arabes; ils rajoutent à leur prénom le nom de "Malik."

-Sayed : Religieux, leur travail consiste aussi à faire des amulettes, ils se disent descendants de la famille du Prophète Mohammad.

-Kashmiri : D’origine du Kashmir, ils forment une caste dans le Panjab, font divers métiers comme commerçants, bouchers, contremaîtres... Ils rajoutent à leur prénom le nom de "But."

-Kakayzai : Commerçants. Ils rajoutent à leur prénom de nom de "Malik."

-Qazi : Religieux.

-Pathan : Descendants de pathans, ils forment une caste dans le punjab, ils font divers métiers comme fonctionnaires, commerçants...

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* L’égalitarisme dans l’islam est ce qui est officiellement reconnu. Cependant l’égalitarisme est une des lectures de l’islam, parmi d’autres. Même si l’esclavage avait été banni, les musulmans ont continué à avoir des esclaves. Dans la réalité, il existait donc une hiérarchie sociale. Aujourd’hui, si l’on va de plus en plus vers une pensée égalitariste c’est parce que dans le monde entier, dans les mentalités, c’est ce qui se prône essentiellement. Le 20ème siècle est le siècle qui tend vers l’égalitarisme, même si dans la réalité, il ne l’est pas. En fait, l’on s’appuie sur cette lecture égalitariste de l’islam lorsqu’on veut dénoncer le système des castes au sein de la société pakistanaise.

Les "petites castes" sont les suivantes :

-Tarhan : Menuisiers.

-Qamyar : Potiers.

-Lowar : Forgerons.

-Kassaï : Bouchers.

-Marassi : Musiciens ambulants, troubadours.

-Mautchi : Cordonniers.

-Tobi : Blanchisseurs.

-Darzi : Couturiers.

-Jalaye : Tisserands.

-Lahari : Teinturiers.

-Mashqi : Porteurs d’eau.

-Teli : Huiliers.

-Balwalai : Messagers.

-Naï : Coiffeurs; ils sont aussi capables de faire de petites opérations, ils circoncisent les nouveaux nés et sont cuisiniers pendant les fêtes et les mariages...

-Fakir : Ils sont nourris par les gens du quartiers où ils habitent, en échange de toutes sortes de petits travaux (laver la vaisselle, préparer le narghilé...).

Les Pakistanais ont leurs intouchables qui ne sont autres que les Pakistanais chrétiens, ou hindous. Ces derniers sont considérés comme étant impurs, ils font les métiers les plus polluants. Beaucoup d’entre eux travaillent chez des particuliers, font le ménage, mais ne doivent pas toucher à la vaisselle... Ils ne peuvent pénétrer dans la cuisine que pour laver le sol.

Aujourd’hui encore, le système reste maintenu, mais pas aussi fermement qu’il l’était il y a 20 ans. Il y a eu une évolution évidente. Les castes existent toujours mais on ne pose plus tout à fait le même regard sur elles. Désormais le sujet est discuté, débattu, remis en cause par un nombre considérable de Pakistanais, et plus particulièrement par la deuxième génération.

Il y a deux décennies seulement, à chaque caste était attribué un métier précis; et une personne de "haute caste" ne pouvait pas se "rabaisser" à faire un métier destiné à une "basse caste" (par exemple devenir blanchisseur, forgeron...); aujourd’hui, ce n’est plus le cas, une personne de "haute caste" peut exercer un métier traditionnellement attribué à une "basse caste", sans que l’entourage en soit choqué. Il est en de même pour quelqu’un de "basse caste" : un forgeron par exemple peut exercer un autre métier, il se sent tout à fait libre de devenir l’égal de n’importe qui. Mais il sera toujours marqué de sa "basse caste" par son entourage, et pour échapper à cette étiquette, il lui faudra partir ailleurs et s’installer là où personne ne le connaît; dans une nouvelle ville, il peut remonter dans la hiérarchie...

Dans leur grande majorité, les Pakistanais sont d’accord pour dire que le système des castes va à l’encontre des écrits islamiques, mais ils le perpétuent quand même car c’est une tradition liée à la notion de l’honneur; c’est une sorte de fatalité qu’ils n’ont pas inventée, mais qui leur a été transmise par leurs parents. Ils pensent (dans l’absolu) que lorsqu’il n’y aura plus de castes, ce sera meilleur pour tous, mais pour l’instant cela existe, et il est difficile de ne pas en tenir compte, sans cela ils prendraient le risque de se voir "rejetés" par la famille.

Si la première génération semble pour une bonne part avoir au moins changé de discours, ne serait-ce qu’en acceptant de discuter des castes sans s’énerver, ni être choquée, la deuxième génération semble plus ouverte et se sent prête à laisser cette tradition concrètement. Mais, encore une fois, les parents sont un obstacle à une évolution rapide, et beaucoup de jeunes suivront les consignes de ces derniers pour ne pas les blesser; mais ils ne transmettront certainement plus cette "hiérarchie" aussi strictement qu’eux.

Même si certaines personnes de la première génération ont fait l’effort d’être réellement plus ouvertes sur ce sujet, elles ne sont pas prêtes à faire des mariages inter-castes avec n’importe quelle caste; une "haute caste" est toujours exigée pour une "haute caste". Mais il faut savoir que les mariages inter-castes sont acceptés plus facilement pour un garçon que pour une fille.

Une fille de bonne famille et de "haute caste" disait lors de mon séjour au Pakistan :

"Aujourd’hui si un garçon veut épouser une fille qui n’est pas de sa caste, ça ne pose pas beaucoup de problèmes, les parents finissent par accepter, ce qui prouve que les choses ont changé. Quand mes parents étaient jeunes pour les garçons aussi c’était presqu’impossible. Mais si une fille le veut, c’est encore un énorme problème voire une catastrophe, n’est-ce pas illogique ? La fille de l’autre peut le faire mais pas la leur ?... Cette fille de l’autre qui ne sera pas autre chose qu’un membre de leur famille, et quel membre ? Une belle-fille, le symbole de leur honneur, tout comme les filles de la maison ?... Moi, je ne comprends pas, je suis tellement révoltée, on m’impose encore cette vieille pensée ! mais au fond de moi, rien ne peut être imposé, rien, je trouve ça nul ! qu’on vienne me dire que c’est comme ça dans notre religion, alors j’y croirai... j’attends. Mais face à ça les autres ne savent jamais répondre intelligemment !"

La profonde révolte des jeunes face à ce système, qui prend trop de temps à ne plus exister, montre qu’il y a là une évolution évidente qui est en train de se faire au Pakistan même; une fille qui normalement est censée rester silencieuse (une des plus grandes vertus de la femme indo-pakistanaise) parle désormais des faits de société.

Une autre fille disait :

"Le Pakistan a beaucoup changé, si quelqu’un est bien, pourquoi lui demander sa caste ?... ce n’est pas la caste qui fait comment est la personnalité. Mais mon frère ne le voudra jamais, même si lui, il a épousé une fille qui n’était pas de notre caste. Ceci dit je peux dire que d’ici encore vingt ans, les choses auront encore plus changé, et concrètement, c’est sûr !"

Qu’en est-il en France ?

La situation reste aussi complexe qu’elle l’est au Pakistan, cependant elle est quelque peu différente quand même.

Lorsque les Pakistanais sont arrivés en France, les hommes ont d’abord vécu en groupes. Ils se sont souvent débrouillés pour être avec des personnes qu’ils connaissaient déjà au Pakistan, ou encore se sont tout simplement fait de nouveaux amis. Lorsque leur famille les a rejoints, ils avaient dans une grande majorité déjà pris un appartement dans un HLM, et s’étaient retrouvés un peu éparpillés dans les banlieues parisiennes. Mais les femmes se sont vues du jour au lendemain complètement isolées, et ont tenté de nouer des liens avec d’autres femmes Pakistanaises, souvent celles qui se trouvaient le plus proche de leur domicile, (beaucoup ont tenté de garder des liens avec des personnes qu’elles connaissaient déjà au pays, mais l’éloignement géographique les ont plus fréquemment empêchées de se voir régulièrement...). C’est ainsi qu’un bon nombre de familles qui se dit être de "haute caste" s’est vu fréquenter des voisins de "basse caste." Bien entendu, les castes se sont toujours côtoyées, mais la manière dont les gens allaient se rencontrer en France allait fondamentalement bouleverser quelques unes des règles fondamentales d’un tel système. En effet, la relation entre "hautes castes" et "petites castes" était une relation qui n’avait rien à voir avec celle que les gens allaient connaître en France. Au Pays (surtout à l’époque où ils l’avaient laissé), cette relation était une relation "de maître à serviteur", et chacun jouait son rôle. En France, cela n’a pas du tout été le cas, les "hautes castes" se sont vues pratiquement obligées de voir les "petites castes" comme égales à elles (du moins en apparence, nous verrons cela plus tard), car rien que le fait de voir quelqu’un qui parlait la même langue, qui avait la même culture et religion, les isolait moins les uns des autres. Les visites régulières et réciproques étaient après tout un très grand pas pour les "hautes castes." Voyons ci-dessous quelques paroles d’une femmes de "haute caste" qui reflètent ce que nous venons de dire, et plus encore, le sentiment ambiguë que beaucoup de personnes ont pu ressentir (et ressentent toujours).

"Je suis de haute caste, au Pakistan on avait des serviteurs comme toutes les hautes castes, des gens qui travaillaient aussi bien pour aider à la maison qu’aux champs pour aider mon père. A la mort de mon père ç’a été le chaos total, les fils se sont mal occupés du commerce, et on est allé droit dans la misère !... On m’a mariée, et je me suis retrouvée dans une famille qui avait subi pratiquement le même sort. J’ai vendu mes bijoux pour faire sortir mon mari de cette misère qui n’en finissait plus !... Quand on est arrivé là, rien que le fait de voir une Pakistanaise m’enchantait le coeur, et isolée comme j’ai été, je me fichais bien de savoir de quelle caste étaient nos voisins... et eux, ils ne demandaient pas mieux, on a tous vécu l’extrême isolement. On s’invitait... Mais j’avoue que lorsque j’ai su qu’ils étaient de basse caste, ça m’a fait quelque chose; je réfléchissais, là-bas, les gens qui nous servent ne s’assoient pas à la même hauteur que nous par exemple, et ici, ils s’assoient sur le canapé... ils sont... complètement égaux à nous, et pourtant... ils ne le sont pas, on a tous un passé, à eux aussi ça doit aussi leur faire bizarre de se voir ainsi traiter grâce à la France !... ?... D’ailleurs c’est pour cela qu’ils n’en reviennent pas. Ils n’ont jamais su ce que était que d’être aisé, c’est pourquoi vous remarquerez que ce sont les gens de basse caste qui souvent se vantent le plus : ‘on a ci, on a ça, on a acheté ci, on a acheté ça...’ Avec le temps, je me suis rendue compte que je préférais rester seule que de voir des gens qui n’arrêtaient pas de se vanter, et qui n’avaient pas une conduite de vie comme la nôtre."

Fréquemment les gens de "basse caste" ont tenté de remonter dans la hiérarchie, mais l’entourage réussit souvent à savoir indirectement qui était qui au Pakistan, par l’intermédiaire d’autres personnes. Cette femme par exemple avait su par une autre femme de "haute caste" que ses voisins étaient leurs cordonniers au Pakistan; cette femme se doutait bien de la "basse caste" de ces personnes, mais ne pouvait pas en être sûre. Elle rajoutera par la suite que, pour elle, cela était assez flagrant, car les "hautes castes" et les "basses castes" ne se conduisent pas de la même manière : "Les gens de basse caste sont plus avares, et ils n’ont pas honte de demander quelque chose à quelqu’un... ils ne savent pas recevoir des invités, ils ne préparent pratiquement rien quand ils invitent des personnes à dîner; et lorsqu’ils sont à leur tour invités, ils se jettent sur la nourriture, ce sont des petites choses qui révèlent votre identité."

A ce sujet, la communauté pakistanaise de France se différencie de la communauté pakistanaise d’Angleterre où l’émigration fut à telle point massive que des villages entiers avaient émigré, et chacun avait retrouvé "sa place" dans le nouveau pays : les coiffeurs sont restés coiffeurs etc. En Angleterre ce problème est à ce point aigu qu’il fait encore parler de lui dans les journaux. Pour montrer l’ampleur de cette situation, je voudrais donner un exemple qui a fait la une des journaux il y a quelques années en Angleterre : une femme de "très basse caste", mariée et ayant des enfants, se faisait régulièrement violer par des hommes de "haute caste"; elle était "offerte" par son mari à ces hommes qui lui rappelaient qu’il était un moins que rien; et étant de "haute caste" ils avaient même ce droit là sur lui... Pendant des années, cette femme subissait des viols, jusqu’au jour où elle finit par tuer l’un de ses violeurs. Ce qui est encore plus étrange, c’est qu’une fois devant le juge, elle mit un temps fou avant d’avouer les raisons de ce meurtre, car elle avait un honneur a préserver ! (nous verrons l’importance de la notion de l’honneur tout au long de ce mémoire).

En France, on n’assiste pas du tout à une copie de ce système des castes. Seulement comme ces Pakistanais de la première génération ont vécu dans ce système depuis leur enfance, ils ont encore du mal à se débarrasser de cette hiérarchie qui est profondément ancrée en eux. Elle ne se fait ressentir qu’à travers des mots, des pensées uniquement... et jamais dans une pratique qui ressemblerait à celle que nous venons de voir plus haut...

Avec le temps, on peut dire qu’on trouve chez les Pakistanais une bonne moitié qui est prête à faire des mariages inter-castes, mais il faut que cela reste dans certaines limites. Les "hautes castes" veulent bien s’ouvrir, mais ne veulent alors rester qu’entre "hautes castes", jamais ou encore très difficilement avec une basse caste, surtout s’il s’agit de donner une fille. Les "petites castes" font la même chose mais entre "petites castes." Assisterions-nous petit à petit à la récréation de deux grands groupes ?... Aussi bien en France qu’au Pakistan ?

Si un nombre considérable a fait un pas en avant, d’autres ont exactement les mêmes pensées qu’il y a vingt ans. Il est inimaginable pour eux de faire des mariages inter-castes, même s’il s’agit de marier un fils ou une fille avec une "haute caste." Certains vont même jusqu’à n’avoir que des amitiés avec des gens de leur caste uniquement. Ainsi, ils se différencient clairement des Pakistanais qui les dérangent, et qui selon eux ne leur ressemblent pas. C’est le cas de Noor, dont le père est "arian", et n’entretient des relations amicales qu’avec des "arians."

Alors que certains font semblant de considérer les "petites castes" comme égales à toutes les autres castes (ou préfèrent ne pas aborder la question et montrent une sorte d’indifférence artificielle), d’autres (une très petite minorité de la première génération) les voient réellement égales à toutes (il arrive de rencontrer des personnes qui s’énervent franchement sur une discussion de ce genre).

Autrement dit, les gens qui disent à voix haute des propos rabaissants et dégradants sont une minorité, car même si une bonne moitié n’est pas prête à s’ouvrir complètement (faire des mariages inter-castes..), ils ne se privent pas d’avoir des relations profondes, des copinages, une bonne entente avec les personnes qu’ils considèrent comme étant de "petite caste."

Voyons ce que dit (d’un ton énervé) une femme de "haute caste" de la première génération :

"Comment faire comprendre aux Pakistanais que le système des castes est un système hindou, oui, hindou, généralement ça les embête ce qui est hindou, non ? alors pourquoi ils ferment les yeux sur ça ?... C’est hindou. Les musulmans sont des gens qui doivent croire à une réelle égalité entre les hommes et non à "celui là est petit ! et celui là est grand !" On est tous musulmans et égaux ! ils ont tort ceux qui perpétuent cela tout en sachant que ce qu’ils font est proscrit par notre religion. Moi je marierai mes enfants avec n’importe quel Pakistanais !"

Une autre femme dit :

"Nous voyons tout le monde, je ne fais pas attention aux castes, mais pour le mariage... c’est un autre problème, je voudrais qu’il soit dans la caste, au moins dans une haute caste."

Les jeunes sont certes différents de leurs parents, mais leur position reste cependant ambiguë.

Une très grande majorité de la deuxième génération est d’accord pour dire que ce système, ou plutôt cette pensée (car en France, ce n’est nullement une relation "maître-serviteur"), est une chose qu’il faudrait bannir, que les castes vont à l’encontre de l’islam. En effet, dès qu’on parle contre les castes, on s’appuie sur la religion musulmane.

Seulement, même si la majorité (qu’elle soit sincère ou pas) avoue que ce système hiérarchique est un mauvais système, elle n’est pas prête à faire le pas en premier, chacun lance la balle à l’autre, et remet la faute sur l’entourage. Le "moi" est rarement mis en cause, c’est toujours "la communauté" qui semble être l’éternelle fautive... ce qui après tout facilite bien des choses. On se rend bien compte qu’il n’est pas uniquement question d’aimer ou de pas aimer, d’y croire ou de ne pas croire. Les jeunes ont grandi avec cette notion soit d’ "inférieur-supérieur" bien définie et stricte, soit de différence fatale... à accepter et à ainsi jouer le rôle d’une "victime d’une communauté traditionnelle". Comme nous venons de le voir, les choses les plus illogiques n’ont pas d’autres d’explications que celle ci : "c’est comme ça... on n’y peut rien... si je pouvais... je... mais je ne suis rien...". La caste est fermement liée à l’izzat (l’honneur), et la communauté pakistanaise vient d’une société où l’honneur est considéré comme étant la chose la plus importante pour un être humain, car il vaut mieux mourir que d’être déshonoré. Face à une telle importance de l’izzat, les enfants se sentent frustrés et savent d’avance qu’ils ne pourront décevoir à ce point leurs parents. C’est pourquoi beaucoup ont accepté des mariages dans la caste, sans se poser trop de questions, d’autres n’ont simplement pas eu d’autres solutions... Une minorité a pu choisir son partenaire (nous verrons cela en détail dans le chapitre "mariage").

Depuis son enfance, Noor a vu ses parents fréquenter des "arians", ou encore des gens de hautes castes : "Pour mes parents les castes c’est quelque chose de fondamental, ils préfèrent n’avoir des liens qu’avec des gens de notre caste, à la rigueur avec d’autres hautes castes, mais pas avec les petites. Jamais ils n’auraient accepté un beau-fils d’une autre caste, c’était une question d’honneur pour eux. Ils étaient vraiment très rigides sur ce point, et j’ai dû me marier avec quelqu’un de la caste. Je n’avais pas le choix, soit je les déshonorais, soit j’acceptais, et je n’avais pas le courage de les déshonorer, je n’ai pas même eu le courage de leur dire que je ne voulais pas... Je savais que leur dire ça n’aurait servi à rien du tout, ils sont trop rigides. Moi je trouve ça bête, je ne ferai pas subir ça à mes enfants." - Je voudrais ajouter qu’il y a ce qu’on dit, et ce qu’on fait. Car lors d’un mariage, j’ai vu le père de Noor au mariage d’une famille pakistanaise de "basse caste" (cordonniers). En fait, même si certaines personnes disent n’entretenir des relations qu’avec des "hautes castes", dans la réalité, cela n’est pas vraiment possible.

Shabnam fait partie de ceux dont les parents ont changé avec le temps, ils admettent volontiers que cela est dû à l’Europe, le fait de vivre loin de la société pakistanaise leur a permis d’avoir un esprit critique sur leur propre communauté... : "Ç’a été dur avec mes parents, il était impossible de leur faire admettre des choses simples sur ce sujet, pendant des années et des années ils ont tenu des discours aussi médiocres que les autres... et moi de mon côté j’ai tenu tête; pourtant je n’aimais personne, je n’avais pas de but précis dans ma tête... je n’attendais pas quelque chose de leur part, mais c’était une question de principe. Je savais que les castes étaient un truc à jeter à la poubelle, et c’est tout, et arrêter de dire bêtement "oui, mais... c’est la tradition", j’aimerais que les Pakistanais fassent quelques choix : voudraient-ils garder leurs traditions hindoues ou devenir un peu plus musulmans ?... Ils sont forts pour hurler haut et fort qu’ils sont musulmans, mais dans leur façon d’être c’est tout autre chose : les castes, la dot... et je ne sais quoi encore. Je n’ai rien contre les hindous, et contre les traditions, qu’elles soient hindoues ou autres, ce que je veux c’est qu’on fasse un peu d’effort pour garder les bonnes traditions, et anéantir les autres, si on le veut ce n’est pas compliqué, je n’aime pas cette notion de fatalité qu’ont la majorité des Pakistanais. Mes parents ont fini par comprendre qu’il fallait changer... Et depuis quelques années, ils sont d’accord avec moi, je pense que pour le mariage, ils accepteraient quelqu’un d’une autre caste, mais il faut qu’il soit d’une haute caste quand même, pas d’une petite. Je pense que c’est déjà ça. Le dialogue perpétuel sert à quelque chose, et je ne crois pas à une fatalité comme le "dharm" hindou, mais je pense que même chez eux, il doit y avoir des gens qui doivent penser contre ce genre de stupidités, je ne voudrais pas qu’on se méprenne sur moi, seulement gardons ce qui est bien, laissons ce qui nous embête à ce point, ce qui est honteux aussi!"

Ali sera le seul à ignorer l’existence des castes, mais lui aussi avait tout même remarqué que son père posait un regard de supériorité selon "la classe" de quelqu’un: "En ce qui concerne les castes, mon père m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de castes dans la religion musulmane. Dans la pratique, il fait quand même une différence entre la "haute classe" et la "basse classe", ce n’est d’ailleurs pas forcément une question de richesse. Je pense, d’après l’arbre généalogique que mon grand-père avait envoyé à ma mère, qu’il est, effectivement d’une bonne famille. La couleur semble également importante. Moins on est foncé, mieux c’est. Cela dit, un membre de ma famille s’est marié avec une africaine et cela n’a semble-t-il, choqué personne, "puisqu’elle était musulmane" (j’ai bien dit semble-t-il). Je dois dire que j’ai par ailleurs des amis indiens chrétiens de Pondichéry qui, tout en étant chrétiens, me semblent animés des mêmes pensées. Ce système des castes, à mon avis, tient plus à une réalité du sous continent indien (et de ses environs) qu’à une religion en particulier."

Si la deuxième génération a vécu dans cette hiérarchie, il est évident que c’est malgré eux, et que les castes, du moins cette pensée qui resurgit au plus fort surtout au moment du mariage, ne sera pas aussi intense ou n’existera plus d’ici peu de temps. Bien sûr, il n’est pas possible de prévoir l’avenir, mais il paraît logique que cela disparaîtra assez rapidement (tandis qu’il faudra encore du temps au Pakistan); car une grande majorité des jeunes de la deuxième génération sont réellement convaincus qu’ils ne l’inculqueront pas à leurs enfants. Le fait d’être en Europe et ainsi isolés leur facilitera bien des tâches de ce genre.

B. Le mariage... ou le "mariage entre cousin-cousine..."

Le mariage est l’un des sujets les plus préoccupants pour la communauté pakistanaise, et il est révélateur du niveau d’intégration ou (d’assimilation) des immigrés, ainsi que de leurs plus profondes pensées... C’est un sujet qui inquiète autant les parents que les jeunes en âge d’être mariés.

Traditionnellement, au Pakistan, on a recours aux mariages arrangés; le mariage des enfants est l’affaire des parents, cela se fait majoritairement en accord avec les enfants qui acceptent de ne voir qu’une photo de la personne à épouser. Etant donné l’atmosphère dans laquelle ils vivent, cela leur semble être normal, l’éducation qu’ils ont eue ne les différencie pas des autres... Cependant dans les grandes villes du Pakistan, les vieilles traditions sont de plus en plus mises de côté, et les gens qui les perpétuent sont facilement étiquetés par ces citadins comme étant des "backward people." Depuis ces deux dernières décennies, que cela soit dans les petites villes ou les villages, les filles qui traditionnellement devaient rester à la maison faire des tâches ménagères, ont eu le droit de sortir pour étudier, même si elles étaient (et sont) accompagnées. Elles ont vu quelque chose d’autre que leur maison et leur famille, ou les amis de la famille. L’éducation a fait bouger les vieux concepts, a remis en cause bien des traditions dans la société pakistanaise, et aujourd’hui, à côté des idées les plus traditionnelles et strictes, on trouve les idées les plus libres. Accepter un mariage d’amour peut être aujourd’hui aussi bien assimilé à accepter un déshonneur que comme étant au contraire quelque chose de normal. Cependant même si ce phénomène de "love marriage" devient de plus en plus fréquent, il reste néanmoins suffisamment embarrassant pour qu’on ait trouvé une solution : on s’arrange pour que l’union passe pour une union arrangée alors que l’entourage sait parfaitement qu’elle ne l’est pas. L’évolution est bien réelle dans le sens où l’entourage, qui jadis avait le droit de parler haut et fort contre un tel mariage (notons qu’il y a vingt ans l’individualisme n’existait pas au Pakistan, et qu’aujourd’hui il prend de plus en plus forme, même s’il est encore loin de ressembler à l’individualisme européen), n’a désormais d’autre choix que de rester muet et ne dire ce qu’il pense que chez lui. Se mêler des affaires des autres n’est plus le comportement qu’on attend de la part d’autrui, qu’il soit un ami proche ou un membre de la famille (oncle ou tante...).

Cependant, ce sont majoritairement les mariages semi-arrangés plutôt que les mariages "purement d’amour" qui prennent progressivement la place des mariages arrangés (mais encore une fois, notons que derrière beaucoup de mariages semi-arrangés se cachent des relations amoureuses...).

En France, le comportement des parents vis-à-vis du mariage diverge, mais en général, jusqu’à présent, ils se sont montrés très stricts sur la question. D’après mon observation, en France, même si les Pakistanais de la première génération ont eu des petites amies Françaises ou Maghrébines à leur arrivée (certains ont même eu des enfants avec ces dernières...) ils ont inculqué à leurs enfants de femmes Pakistanaises, des valeurs très traditionnelles concernant le mariage, et peut-être même encore plus rigoureusement que les Pakistanais du Pakistan. Les règles les plus fondamentales ont été posées dès le plus jeune âge des enfants. Il était clair pour la deuxième génération qu’elle ne pouvait épouser quelqu’un qui ne serait pas Pakistanais. Mais les choses sont plus complexes que cela.

Voyons d’abord ce que l’on attend des garçons. On pense que les garçons sont plus libres de choisir leur partenaire. D’un côté cela n’est pas tout à fait faux, mais dans la réalité, je n’ai pas vu beaucoup de garçons choisir réellement leur épouse. Il y a un semblant de liberté, il est vrai qu’ils peuvent sortir davantage que les filles, qu’ils peuvent avoir des petites amies (comme nous l’avons vu au chapitre précédent), mais la réalité pour eux est aussi délicate qu’elle l’est pour les filles. Ils satisfont généralement la volonté de leurs parents, ou plutôt de leur mère. Car ce sont les mères qui choisissent la belle-fille, et en France elles avaient en grande majorité choisi (ou avaient en tête), depuis l’enfance de leur fils, une nièce au Pakistan; mais pas n’importe quelle nièce, c’est fréquemment une nièce de leur côté et non une nièce du côté du mari... Car celle-ci est censée mieux l’aimer, mieux la respecter, ajoutons qu’entre ces dernières, elle préféra une fille de sa soeur pour les mêmes raisons...

Il est surprenant de voir tant de jeunes Pakistanais de la deuxième génération mariés avec leur cousine. Il est vrai qu’au Pakistan les mariages entre cousin-cousine sont fréquents, mais en France cela a pris une ampleur assez surprenante. Serait-ce une manière de former des familles jointes, très soudées; serait-ce donc une réaction face à l’isolement des familles, souvent divisées entre les pays d’Europe et le Pakistan ?

Si le mariage avec une cousine n’a pu se concrétiser, les mères vont choisir dans la famille éloignée, mais jamais avec une fille que personne ne connaîtrait. Dans tous les cas, en France, les mères exigent de leurs fils qu’ils épousent une Pakistanaise du Pakistan; elle ne sont pas prêtes à accepter une Pakistanaise de la deuxième génération en France, même si cette dernière est de leur caste... Le problème, ici, semble être encore plus compliqué, et difficile à cerner qu’il ne l’est au Pakistan. Nous tenterons d’expliquer toutes les réticences.

Les mères attendent d’une belle-fille qu’elle soit d’abord de leur caste, puis au mieux de leur famille, mais surtout qu’elle soit du Pakistan, car elle est considérée comme étant pure, respectueuse, une fille qui n’a certainement jamais eu de petits amis, et encore moins des relations physiques... Elle serait plus apte à donner une éducation traditionnelle à ses enfants; ainsi la culture et la religion ont plus de chances d’être fermement préservées... Elle est aussi censée mieux s’occuper des tâches ménagères, du mari, des enfants, des beaux-parents, sans riposter. Tels sont les principaux clichés qui circulent au sein de la première génération.

Les filles qui ont grandi ici font peur aux mères, alors que toutes ont elles-mêmes des filles qui ont grandi en Europe... Mais la fille de l’autre fait toujours peur, peut-être est-elle trop occidentalisée ?... Même si elle ne l’est pas, elle l’est certainement un peu, et même ce "peu" fait peur - il semble que nous retrouvons en Angleterre et aux Etats Unis les mêmes angoisses au sein de la communauté indo-pakistanaise. Marcus Thompson, dans son article "The Second generation - Punjabi or english ?" parle lui aussi de cette peur qu’a la première génération vis à vis des filles qui auraient grandi en Europe, cette peur n’est en réalité pas partagée par la seconde génération (ou du moins n’est pas aussi intense) : "The second generation are less impressed with first-generation fears that girls brought up here in England are exposed to corrupting influences in school and at work, and that therefore, one can never be sure that they have behaved themselves irreproachably or that they will unquestioningly accept the role of wife and daughter-in-law in their new home."-

Logiquement, les Pakistanaises de la deuxième génération en France se retrouvent "délaissées" par leur propre communauté. Mais c’est une question que les gens préfèrent ne pas discuter car ils se contredisent d’une manière flagrante. Ils aimeraient trouver quelqu’un de bien en France au sein de la deuxième génération pour leur fille, mais ne sont pas capables de s’intéresser aux filles d’ici pour leurs fils. Nous verrons plus tard que les Pakistanaises n’ont d’autres choix que celui d’épouser un Pakistanais du Pakistan, ou épouser un Pakistanais sans papiers en France.

Par conséquent la majorité des Pakistanais épousent une fille du Pakistan, tant on leur laisse peu le choix. La liberté qu’ils ont ne leur permet pas de s’affranchir de ces limites-là (bien qu’un mariage exogame - avec une personne non-Pakistanaise, et parfois non-musulmane - puisse être accepté, mais en dernier recours, et ce très difficilement).

Comme nous venons de le voir, les garçons adhèrent à la décision des parents en ce qui concerne le mariage, tout en exigeant qu’on leur laisse rencontrer la fille avant de prendre une décision, et en se donnant le droit de voir d’autres filles s’ils n’arrivent pas faire leur choix. Mais une minorité ne demande même pas ce droit, et adhère complètement à un mariage arrangé traditionnel, faisant confiance au choix de leur mère.

Si cela paraît surprenant en France, cela ne l’est pas du tout pour un bon nombre de Pakistanais; ces derniers, tout comme les Indiens, ont une idée plutôt pragmatique de l’amour. Certes le vrai amour (sacha pyaar) existe, mais tout le monde ne le rencontre pas, peu de personnes sont chanceuses au point de tomber réellement amoureuses, et dans une majorité ce ne sont que des "dil lagi" (aventure, "amourette"). Ces dil lagi sont trompeuses, et cela ne sert à rien d’aimer puis détester une personne pour laquelle ils pourraient créer de véritables conflits avec leurs parents. Un mariage est vu d’une manière très réaliste, c’est un contrat qu’il faut tenter de mener jusqu’au bout de son existence quoi qu’il arrive (sauf dans des cas exceptionnels). C’est pourquoi il vaut mieux quelqu’un qui pense de la même manière, une personne envers laquelle il n’y aurait pas de dil lagi, ni de haine. De plus, pour les garçons, il semble que c’est très important que leurs enfants aient une éducation indo-musulmane, et beaucoup d’entre eux préfèrent aller se marier au Pakistan, car ils n’envisageraient pas leur vie avec une Française, ni une Maghrébine, et certains pas même avec une Pakistanaise qui aurait grandi en France (car ils ont baigné dans les clichés que nous venons d’évoquer).

Voyons ce que dit un garçon de 28 ans, venu en France à l’âge de 14 ans, et travaillant comme vendeur.

"Au début je voulais me marier avec une fille que j’aimais bien au Pakistan, puis, quand je suis venu ici, j’ai été très attiré par les Maghrébines, ça représentait pour moi le peuple élu de Dieu, elles sont musulmanes, blanches et pas tout à fait Françaises... Mais avec l’âge, j’ai changé, j’ai été déçu par le comportement des filles d’ici. Et puis j’ai vu autour de moi... des copains qui s’étaient installés avec des Françaises ou des Maghrébines (en fait elles sont pareilles !), et ça finit mal, on ne peut rien construire avec ces filles qui sont instables, et qui du jour au lendemain peuvent vous quitter, non, ce n’est pas possible... Maintenant, j’aimerais bien que ma mère me trouve quelqu’un, une Pakistanaise, qu’elle soit d’ici ou pas, ça ne me dérange pas, mais je sais que comme j’ai donné le choix, elle ira au Pakistan, la question ne se pose pas pour elle, elle voudra une fille traditionnelle, moi, il me faut juste une Pakistanaise."

La plus grande raison qui surgit à chaque entretien, c’est le manque de confiance qu’ont les Pakistanais (les deux générations, mais surtout la première génération) vis-à-vis des filles d’ici. Ceci dit, je pense vraiment que si les parents avaient réellement donné le choix à leurs fils de choisir leur partenaire (sans les culpabiliser) une bonne moitié se serait mariée avec des filles de la deuxième génération en France.

Un autre garçon dit à ce sujet : "C’est clair, entre nous, on se comprend mieux, mais je ne sais pas si mes parents seraient heureux... Je ne voudrais pas décevoir mes parents. Et puis, c’est compliqué de trouver une Pakistanaise ici, si on la trouve il faut qu’elle soit ci et ça... de la caste etc.. bref, une prise de tête." Ce que dit ce garçon est aussi une chose qui pose problème dans la communauté pakistanaise. L’absence d’associations, l’éloignement géographique, font que les relations entre les jeunes sont pratiquement impossibles; si les Pakistanais se réunissent (réunions religieuses), ils sont divisés, d’un côté on trouve les femmes, et de l’autre côté les hommes. L’espace est très souvent divisé ainsi, même lorsque vous allez chez quelqu’un, les femmes vont directement dans la chambre à coucher laissant ainsi les hommes dans le salon - Muhammad Anwar, dans son ouvrage "Pakistani in Britain"* parle de cette division que l’on appelle simplement le ‘purdah’ (qui signifie le voile et a plusieurs définitions), et raconte aussi comment il lui a été par moment difficile de faire sa recherche car il ne pouvait pas parler aux femmes, ou ne pouvait leur parler aisément. (p 165) "Apart from veiling in the traditional sense, back home Purdah also refers to restrictions on the physical movement of pakistani women. This means that except from close relatives women keep other men at a distance (...) (p 227) One point relevant to mention is that of purdah practised in some Pakistani families. This created problems for me in the beginning with three families. I was unable for some time to find out what kind of life was lived in the backroom. In two cases however the wives were allowed to come to the front room when I was there. I was able to talk to them though they were still shy and reluctant so I did not press the conversations because this would have embrassed the women. Papanek points out the kind of problems that a male researcher in a purdah society faces in studying the women’s situation. Male researchers in Britain too face these problems in relation to the women who come from Purdah society. Hence, Pakistani women were not studied directly, due to Purdah limitations on the women."-

Ali qui est d’une mère Française, pense que le système des mariages arrangés peut être un bon système : "Le système des mariages arrangés n’est forcément mauvais en soi, il comporte des avantages et des inconvénients. Comme le système de la libre rencontre comporte aussi des avantages et des inconvénients. Peut-on compter sur le hasard ?

La famille, qui vous connaît bien et qui vous a élevé n’est-elle pas susceptible de connaître ce dont vous avez besoin ? N’est-il pas utile de connaître la belle-famille avec laquelle on va forcément avoir des contacts ?... Mon oncle (au Pakistan) m’a proposé de rencontrer une famille pakistanaise pour un mariage arrangé. J’ai quand même été choqué qu’il ne me donne aucun détail sur la personne concernée, (si elle voulait se marier, ou me rencontrer, ses études, son métier...), comme si cela n’avait aucune importance, le plus important étant que les deux familles s’entendent. C’est la raison

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* Pakistani in Britain, Muhammad Anwar. Ed. New century publisher, 1985.

pour laquelle je n’ai pas donné suite. En bref, sur ce principe pourquoi pas... à condition que la fille soit d’accord pour me rencontrer et qu’elle ait le droit de refuser."

Ce que dit Ali est important, un nombre considérable de personnes pense que les parents connaissent leurs enfants, prennent des décisions plus raisonnables, et donc ont peu de chances de se tromper.

La question du mariage des Pakistanaises de la deuxième génération est certainement ce qui est le plus préoccupant de tout. Car les cas de mariages des Pakistanaises posent réellement problème.

Nous nous efforcerons d’expliquer le plus clairement possible les raisons qui mènent les filles à des mariage "ratés."

Traditionnellement on marie les filles assez tôt. Lorsque l’on entend des parents se prononcer sur ce sujet, ils disent automatiquement que c’est la responsabilité qui pèse le plus sur eux, certains parlent même d’un fardeau à alléger. Le mariage des filles se fait tôt pour plusieurs raisons; les filles font peur, car ce sont elles qui préservent essentiellement l’honneur de la famille. Une seule conduite "déviante" de la fille (fumer, boire, sortir à droite et à gauche, et le pire sortir avec un garçon) met en péril cet honneur auquel la famille tient le plus. Le plus prudent reste donc de les marier le plus tôt possible. Plus d’une moitié des Pakistanaises se sont mariées à l’âge de 18-20 ans, au plus tard vers 21-22 ans.

Peu de Pakistanais ont laissé leurs filles faire de longues études. Il fallait quitter "ce contact avec les européens" le plus vite possible. Elles sont par conséquent le plus souvent sans aucune qualification, et se sont vues mariées rapidement.

Le choix de leur partenaire leur a souvent été imposé. Généralement un des parents va au Pakistan pour choisir parmi les neveux des parents, ou encore quelqu’un présenté par la famille. Les personnes désirant venir en France ne manquent pas, et c’est souvent pour sa nationalité française que la fille en question est acceptée, elle offre une situation stable en Europe avec une aisance particulière. Ceci est très frustrant pour beaucoup de Pakistanaises, et aussi très contraignant pour le garçon qui va venir en France et va devoir rester comme "ghar jamâi" (beau fils dépendant*) _________________________

* Cette expression est péjorative. Un beau-fils qui dépendrait de sa belle-famille est souvent considéré comme un "bon à rien". Le beau-fils ne peut venir chez les beaux-parents que provisoirement (visite familiale, vacances...) mais ne doit pas vivre avec eux, car vivre avec ces derniers le rabaisse au statut d’un homme qui se fait entretenir... et le met dans une situation d’infériorité.

pendant un certain temps. Beaucoup de filles n’ayant pas d’emploi sont obligées de rester chez leurs parents (une fille Pakistanaise ne peut pas vivre seule), et dans la tradition indo-pakistanaise, le statut de "beau-fils dépendant" est une chose rabaissante pour l’homme. C’est ainsi que les conflits éclatent dès le début, et il n’est pas rare de voir un beau-fils demander à ses beaux-parents pour quelles raisons ils l’ont fait venir en France, s’il n’y avait rien !...

Il n’est pas obligatoire que les parents aillent chercher les garçons au Pakistan, un nombre considérable de Pakistanais migrants vivent en France clandestinement. Et pour ces hommes "sans papiers", le mariage reste la voie la plus simple pour acquérir la carte de séjour; mais dans ce genre de mariage aussi, beaucoup de gens ont regretté d’avoir pris des décisions hâtives, car les filles se sont parfois retrouvées délaissées une fois que le partenaire avait acquis une situation stable; délaissées de diverses manières : soit cela aboutissait à un divorce, soit les jeunes femmes ne voyaient pratiquement plus leur mari... Ces situations ont été et continuent à être profondément dangereuses, car elles engendrent facilement des suicides ou des tentatives de suicide. Il n’est pas rare de trouver des filles pakistanaises qui ont désespérément tenté de trouver une solution dans la mort. Une jeune fille de 22 ans, qui fait constamment des formations continues dit à ce sujet :

Ma mère m’a fiancée depuis je ne sais combien de temps, elle me dit qu’elle m’a promise à sa soeur, je dois me marier avec un cousin que n’ai jamais rencontré, elle ne veut rien entendre... J’ai pleuré, j’ai crié, j’ai supplié... mais non, elle ne veut pas céder, c’est lui que je dois épouser ! et je le déteste, je n’aime pas sa photo !... je ne l’aime pas c’est tout. J’en eu marre, j’ai tenté de me suicider, je n’avais pas d’autres solutions, car je n’avais pas le courage de partir de la maison. Je les déshonorais en faisant ça. Mais malheureusement ça n’a pas marché, je me suis retrouvée dans le lit d’hôpital, les yeux ouverts en direction de ma mère qui s’est empressée de me dire quelques insultes, puis elle m’a dit : tu veux nous déshonorer avec ta mort ?? si tu veux mourir, tu ne peux pas mourir en silence ! ?... Je n’en revenais pas, je suis l’éternelle coupable. J’ai tenté de me suicider à nouveau, mais je n’ai vraiment pas de chance. Je suis toujours en vie. Je repousse toujours le mariage en disant que je dois faire une formation... et puis la formation ça me permet de partir de la maison pendant toute la journée."

Cette fille réussit pour l’instant à repousser le mariage, d’autres n’ont pas pu le faire, elles n’ont pas même osé dire non. Répondre à un père, c’est peut-être la chose la plus difficile à faire pour une Pakistanaise. Le cas d’une autre Pakistanaise avait fait beaucoup de bruit il y a 8 ans, et avait fait réfléchir plus d’une famille. Cette personne avait environ 22 ans quand elle s’était suicidée. Elle avait été mariée à un "sans papiers" qui, après avoir eu la carte de séjour, l’avait abandonnée et s’était remarié avec une Pakistanaise du Pakistan. La jeune femme, désespérée, n’avait trouvé que le suicide comme sortie de secours. Ce cas, qui fut en France un des premiers cas de suicide dans la communauté pakistanaise, avait fait prendre conscience à un nombre considérable de personnes de la gravité des mariages hâtifs de ce genre. Cependant, les questions tournent en rond, et on continue à agir de la même sorte, car on ne sait que faire d’autre des filles...

La différence des mentalités est aussi l’une des causes de ces "mariages ratés." L’entretien avec Shabnam est significatif, et rassemble bien ce que l’on peut souvent entendre de la part des filles:

"Dans mon entourage, rares sont les mariages réussis. Il y a diverses raisons à ces conflits, d’un côté le garçon qui vient ici pense qu’il va vivre comme un roi, peut-être est-ce aussi de la faute des parents qui n’ont pas été assez clairs dès le début, il aurait fallu dire au garçon et à sa famille : vous savez là-bas c’est comme ça que ça se passe, peut-être que vous devrez travailler en tant que vendeur au marché, peut-être que vous ne trouverez pas de travail pendant un laps de temps et que vous devrez peut-être rester chez nous... mais en aucun cas vous n’allez vivre une vie de prince, peut-être que la destinée fera qu’un jour vous serez très riche mais ça on ne le sait pas !...

Mais malgré ça, tu sais ce que je pense ?... même quand on dit la vérité aux gens, ils disent que c’est faux ! qu’on ne veut pas que d’autres deviennent aussi riches que nous etc.... un truc de dingue !...

Deuxièmement, le problème c’est la différence entre notre mentalité et la leur, quelque chose de tout à fait banal peut paraître choquant pour le mari. Par exemple que sa femme finissent ses études après la mariage, la formation pour d’autres, ou qu’elle travaille, il pensera peut-être qu’elle s’habille trop à l’européenne, et le pire qu’elle fasse la bise à un garçon même si c’est vraiment malgré elle, de toutes petites choses vont heurter sa sensibilité... Je comprends quelque part, lui aussi ce n’est pas de sa faute. Mais ce que je n’admets pas par contre c’est qu’il se serve uniquement d’elle pour la carte de séjour, et qu’il aille épouser une autre après ! Il faut qu’il ait du respect pour cette fille qu’il épouse. Et heureusement qu’il y a aussi des garçons comme ça, tous ne sont pas hypocrites non plus."

Nous verrons plus tard les mariages réussis, mais pour l’instant je voudrais donner d’autres exemples de mariages où l’entente se fait très difficilement (car cela concerne une grande majorité).

Une des interviewées qui a voulu rester dans un anonymat total fait partie des filles qui auraient voulu se marier en France : elle aimait un garçon pakistanais, mais ce dernier n’était pas de sa caste (les deux étaient pourtant de "hautres castes"). Elle n’avait pas eu le courage de révéler sa relation amoureuse à ses parents, ne voulant pas les trahir et les déshonorer. Lors d’un séjour au Pakistan, elle fut obligée de choisir entre quelques uns de ses cousins. Elle se maria, mais n’est pas heureuse de cette union, pourtant elle vivra avec lui quoi qu’il advienne.

"L’amour, je n’y crois plus, et de plus, on ne rencontre l’amour qu’une fois dans sa vie. J’ai épousé mon cousin parce que je n’avais pas le choix, mon père de toutes façons n’aurait pas accepté un mariage d’amour, et ce en plus avec quelqu’un d’une autre caste. Celui que j’aimais n’était pas de notre caste, les choses étaient trop compliquées, non, mon père n’aurait jamais accepté. J’ai dit oui pour le cousin, mais c’est clair que je ne suis pas heureuse, je pleure souvent, un moment donné j’ai même pensé à la mort, parce que je ne peux me sortir de cette situation autrement, je voudrais rejoindre celui que j’aimais là-haut [ce garçon s’est fait tuer lors d’une dispute]... Au moins en me suicidant, je ne les déshonorerai pas ?... Mais, je ne sais pas... L’islam l’interdit. Pourtant mon mari est gentil, il dit aussi qu’il m’aime... Mais moi ? Je sais que je ne divorcerai jamais, parce qu’en divorçant je décevrai trop mes parents, mon père ne comprendra pas pourquoi, je n’ai pas de raisons valables pour ça. Je vivrai avec lui, c’est sûr."

Shakeela a subi le même sort, mais elle fait partie d’une minorité qui après avoir satisfait les parents veut désormais se donner le droit de se satisfaire.

"Ma mère m’a forcée à me marier avec un garçon qu’elle ne connaissait pas elle-même, parce sa famille là-bas lui avait dit qu’il serait bien pour moi. J’étais avec elle, et je lui ai dit : maman, je préférerais quelqu’un d’autre, j’accepte de me marier mais pas avec lui. Je le trouvais moche, il était analphabète ! Mais ma mère n’a rien voulu entendre, une de mes tantes paternelles a demandé ma main pour son fils aîné, ainsi que celui de ma petite soeur pour son cadet; j’aurais préféré qu’elle nous marie là-bas, mais non, ma mère n’aimait pas ma tante et a refusé. Elles nous a toutes les deux fiancées je ne sais où ! Quand on est revenu en France, j’ai essayé comme une folle de la raisonner, mais en vain ! c’était une question d’honneur, elle nous avait promises ! Ma soeur pleurait, elle ne voulait pas non plus, je ne supportais pas de la voir comme ça... On a parlé, et débattu la même question un million de fois, elle a finit par dire qu’elle acceptait de changer pour ma soeur mais pas pour moi, parce que si elle changeait pour les deux on allait la traiter de pauvre femme, sans dignité et sans parole. Je pensais qu’une fois au Pakistan elle allait comprendre, qu’elle n’allait pas me faire ça réellement; mais non, là-bas, elle m’a dit clairement : si tu veux que je change pour ta soeur, tu as intérêt à te marier là où je t’ai fiancée!... Et je me suis sacrifiée pour ma soeur ! On m’a mariée, et ensuite elle a bien voulu changer pour ma soeur.

J’ai épousé un homme qui me dégoûtait. Je suis rentrée révoltée, je n’ai plus accompli les prières, j’en voulais à Dieu ! je ne savais plus qui j’étais ! Mais j’ai décidé de ne pas me laisser faire, désormais ma soeur est mariée là où elle voulait, je ne peux pas être néfaste pour elle... Je vais demander le divorce ! Qu’on le veuille ou non ! et je me marierai avec un autre Pakistanais. Qu’il soit d’ici ou pas, ça ne me dérange pas, je suis même capable d’aller vivre au Pakistan, je voudrais simplement aimer la personne et être aimée par quelqu’un de bien. C’est tout."

Yasmine : "Je crois que ça serait mieux d’épouser un garçon qui aurait grandi en France, mais je crois aussi que ce n’est pas plus mal au Pakistan, il y a des gens bien, mais moi si j’épouse quelqu’un au Pakistan, alors je resterai là-bas, mais si je dois vivre en France, j’épouserai un Pakistanais qui aura grandi en Europe."

En réalité les difficultés qu’engendrent les mariages entre les Pakistanais du Pakistan et les Pakistanaises qui ont grandi en France, sont très complexes à comprendre. Il est évident que la situation dans laquelle le nouveau marié se retrouve est une situation d’infériorité par rapport à la femme, et ce dans une société où l’homme a la première place, du moins en apparence. C’est une des premières causes de conflit. Puis, la dure réalité d’une Europe qui ne permet pas à tous de vivre "une vie de rêve" en est une autre. Ceux qui étaient déjà confrontés à cette réalité, sont les migrants clandestins, et c’est en connaissance de cause qu’ils acceptent un mariage en France: ils désirent acquérir la carte de séjour rapidement, mais se sentent aussi prêts à vivre avec une Pakistanaise qui aurait grandi en France. Plus réalistes, ils n’attendent pas de la vie en France "une vie de rêve," leur situation les ont depuis longtemps désillusionnés... Seulement dans le quotidien il leur semble plus difficile de cohabiter avec une fille qui voudrait peut-être travailler, ou continuer ses études... ou encore qui penserait un peu comme une "occidentale." Dans tous les cas, la différence de mentalité semble régner, et être une des premières sources de conflit dans le couple. Par conséquent nous voyons aujourd’hui des parents qui tentent après tout de faire de leur mieux pour corriger leurs erreurs. Ces dernières années il y a eu comme un changement de politique, les parents sont devenus plus exigeants, font une vive sélection parmi les garçons qu’ils choisissent pour leurs filles... Désormais la cause de ces mariages ratés est selon eux due au manque d’éducation (donc le manque d’ouverture) de ces garçons... Le résultat de cette prise de conscience a engendré de nouvels sortes de mariages, et on a assisté à des mariages entre des filles de la deuxième génération avec des garçons très éduqués du Pakistan. Les parents n’ont voulu choisir qu’entre des Pakistanais selon eux "plus civilisés." Seulement cela les a aussi conduit à d’autres genres de problèmes. Les filles qui, en majorité, n’ont pas fait d’études (elles ont un niveau d’études allant de la 6ème à la troisième, au plus de la 3ème au bac) se voient mariées avec des hommes d’un niveau d’études allant de la licence à la maîtrise. Les rôles changent. Même si ce sont elles qui leur ont permis d’avoir une situation stable, les hommes d’un tel niveau ne se sentent pas du tout en position d’infériorité, et refusent catégoriquement de travailler comme vendeur, ou serveur, ou exercer des métiers qui les rabaisseraient selon eux. Le refus de faire n’importe quel métier pose un véritable problème pour les parents qui ne voient pas comment le couple pourrait avoir sa propre indépendance avec un mari qui ne veut pas "travailler." Les métiers qu’aimeraient faire ces nouveaux arrivants ne sont pas accessibles pour plusieurs raisons, dont le manque de postes vacants, et, en premier lieu, l’absence de connaissance de la langue française.

La situation d’infériorité est ressentie par les filles, car il faut savoir qu’au Pakistan, les garçons éduqués ne veulent se marier qu’avec des filles éduquées (qui ont à peu près le même niveau qu’eux). Aujourd’hui au Pakistan, le niveau d’éducation est une des premières choses que les gens mettent en valeur. Il est extrêmement fréquent d’entendre : "nous cherchons une fille bien, de telle caste... qui aurait au moins une maîtrise." Les hommes éduqués qui se marient en France ne sont pas très heureux, ils ont le sentiment d’avoir sacrifié quelque chose en échange d’une situation qu’ils n’avait pas imaginée et qu’ils ne méritaient pas...

Le problème concernant le mariage pose donc un réel problème pour les filles Pakistanaises en France. Certaines (bien que minoritaires) ont préféré ne pas se retrouver face à ce genre de situations, et ont opté pour le retour au pays. Elles ont préféré s’intégrer au Pakistan que d’être dans l’attente de trouver une personne qui saurait s’intégrer en France. Il faudrait voir ce qu’il en est pour elles... Mais généralement, les filles qui décident de faire ce choix ne le font pas à n’importe quel prix. Elles ont souvent eu l’occasion de trouver une belle-famille aisée, et savaient d’avance qu’elles allaient vivre une vie qu’elles ne pouvaient pas avoir ici, c’est à dire avoir une grande maison, femmes de ménage, chauffeur...

Bien que le tableau soit plutôt négatif, il arrive de rencontrer des Pakistanaises mariées et heureuses, qui ont pourtant vécu une histoire similaire à ce que nous avons vu plus haut.

Une fille de 26 ans dont les parents sont très religieux raconte :

"Je n’avais pas encore passé le bac que mon père m’a dit un jour par l’intermédiaire de ma mère que j’étais en âge d’être mariée; je n’ai rien dit, je n’ai jamais pu dire quoi que ce soit à mon père, et surtout rien sur un tel sujet. Il est allé au Pakistan, il a trouvé un garçon qui était de sa famille, "une sorte de neveu éloigné", il l’a choisi, et m’a ramené la photo. J’étais vraiment surprise de ce qui se passait, on ne m’avait rien demandé... Je devais simplement dire oui. Et j’ai dit oui, tout en pensant "au paysan" qui allait venir vivre avec moi. Dans ma tête, je me disais que ça allait être un pauvre type, qui ne connaissait rien... J’étais en réalité très angoissée. Une fois qu’on m’a mariée avec lui, je suis restée avec mes pensées de supériorité vis-à-vis de lui. Il était toujours le "pauvre gars" dans ma tête !... Je pensais qu’il allait bientôt m’interdire d’aller au lycée, puis m’interdire de travailler... Et puis, j’avais honte d’être mariée, ça me gênait à ce point que je ne l’avais dit à personne. C’était top secret. Mon mari venait de temps à autre me chercher au lycée, et les copines me disaient : c’est ton copain ? et je disais oui; puis certaines m’ont dit : mais il est pas mal !... et ça me surprenait... Petit à petit, cet homme m’a vraiment étonnée, il était réellement gentil, moi j’attendais un jour la catastrophe, mais j’avais en face de moi un mari compréhensif, ouvert d’esprit. Je commençais à discuter avec lui, et il m’a dit que ça ne le gênait pas du tout que j’étudie, et que je travaille. D’ailleurs, nous avons par la suite travaillé ensemble. J’avoue que j’ai appris à l’aimer, et je peux dire que j’ai trouvé (par chance certainement) quelqu’un de très bien."

Une minorité de parents acceptent des mariages exogames (avec une personne non-Pakistanaise, et parfois non-musulmane), ou seraient prêts à l’accepter si la communauté en faisait autant, ou si elle ne les blâmait pas. Le regard de l’autre, et des membres de la famille empêchent les Pakistanais de dire et de faire librement ce qu’ils voudraient au fond d’eux-mêmes. Deux femmes Pakistanaises s’expriment sur ce point :

"Quand mon fils sera grand, bien sûr j’aimerais qu’il épouse une fille de notre communauté, qu’elle soit d’ici ou pas, ce n’est pas important, je trouve d’ailleurs que contrairement à ce qu’on dit, les filles qui ont grandi ici sont plus innocentes que celles qui viennent de là-bas. Là-bas on leur a appris à être "de vraies petites chipies" sans le laisser paraître, au moins ici, elles sont plus franches... Mais si mon fils ne veut pas épouser une Pakistanaise, et qu’il veut épouser une Française, je voudrais alors qu’elle se convertisse. Je ne serai pas comme certains, si je dois accepter une belle-fille non Pakistanaise, je l’accepterai vraiment..." Ce que dit cette femme s’oppose à ce que l’on entend dans la majorité des cas. Les filles qui ont grandi en Europe sont souvent étiquetées comme étant "occidentalisées", mais de l’autre côté certains disent aussi qu’elles sont "innocentes", dans le sens où elles disent plus facilement ce qu’elles pensent, et sont donc plus sincères. En réalité, les deux étiquettes leur sont attribuées tour à tour : occidentalisées dans le sens négatif, innocentes quand on voudrait les défendre. Ceci dit, une majorité retient plus l’aspect occidental qu’innocent.

La seconde femme dit :

"Moi, j’ai deux fils, ils sont encore très jeunes, je voudrais qu’ils se marient là où ils veulent, je me fiche bien des castes et des ethnies... Du moment qu’elles sont musulmanes. Je dis ça mais je ne suis pas seule à décider, mon mari est très strict sur se sujet, et la famille aussi." Cette femme dit aisément que rien ne lui poserait de problèmes, mais rien ne repose sur ce qu’elle pense. Nous entendons souvent ce genre de phrases où l’on met la responsabilité sur "l’autre", soit sur le partenaire, soit sur la communauté.

Il existe des cas de Pakistanaises qui se sont mariées avec des non-Pakistanais. Dans mon entourage une fille s’est mariée, avec le consentement de ses parents, avec un malgache; une autre avec un irakien, la dernière avec un marocain (mais cette dernière n’a pas de père et sa mère est une femme relativement libre, qui se distingue des autres Pakistanais). Quelques Pakistanaises ont dû fuir leur foyer familial pour épouser un non Pakistanais...

Pour les garçons, les cas de mariages exogames sont plus nombreux que les filles. Ils sont mariés avec des Françaises ou des Maghrébines.

Cette idée que les gens ont de "la femme Pakistanaise parfaite venue du Pakistan" est discutée dans certaines familles. Un nombre considérable a eu affaire à des Pakistanaises qui, dès leur arrivée, se sont séparées de la belle-famille, créant ainsi une désillusion totale par rapport à l’image de la femme traditionnelle et parfaite. Ces dernières sont particulièrement critiquées par les filles qui ont grandi en France; ce que dit Shakeela résume bien ce que nous essayons de décrire :

"Elles arrivent de là-bas, elles ne connaissent rien de la France. On leur donne à penser qu’elles sont mieux que nous parce qu’elles ont grandi au Pakistan, et ces filles se permettent de critiquer les filles d’ici, elles font attention à tout ce qu’on peut faire, et cherchent le moindre prétexte pour essayer de nous donner une mauvaise image; elles sont ignorantes, et ne pensent qu’à faire circuler des ragots. C’est comme ça que ça se passe dans les quartiers où il y a des Pakistanais. Elles sont là pour pourrir encore plus la situation. Des pauvres femmes ! Rares sont celles qui sont bien. Car le plus souvent les mères ont ramené leur nièce et rien que le fait d’être nièce suffisait, elle n’ont pas regardé autre chose que ça, elles n’ont pas regardé si elles avaient étudié ou non, ni si elles se comportaient bien ou non... Une fois ici, on se retrouve avec des niaises... Alors qu’au Pakistan, on devient de plus en plus sélectif, on veut une belle-fille très éduquée etc... Ici, on va prendre tout ce qui traîne. La seule chose qui nous suffit c’est qu’elle a grandi là-bas. Et pourtant, je connais des cas, où vraiment elles sont de vraies hypocrites. Les gens ont tort de faire ce qu’ils font, un jour ils s’en rendront compte."

Pour terminer ce chapitre, je désirerais donner une description de deux mariages. Mais avant cela, je souhaiterais simplement prévenir que les fêtes de mariage des Pakistanais en France sont très ennuyeuses. Elles sont souvent organisées hâtivement. Certains Pakistanais organisent la fête dans leur appartement où les gens sont entassés les uns sur les autres, d’autres louent une salle où le but est de s’asseoir pendant des heures... Dans tous les cas, l’absence de musique, de danse, et de rire crée une atmosphère extrêmement monotone. Ce genre de mariage sobre, désorganisé et monotone semble être spécifique à la communauté pakistanaise de France...

Le premier mariage est assez particulier. Particulier car généralement les mariages ne se déroulent pas comme cela, normalement les deux familles se réunissent pour célébrer l’union. Or à ce mariage, seule la famille de la fille était présente, et ne savait pas qu’elle allait être "seule" à participer au mariage... Le second mariage est assez ordinaire, il donne bien l’exemple des mariages dits "semi-arrangés" ou arrangés mais qui en fait cachent une relation amoureuse (nous verrons comment les deux familles des mariés jouent le jeu pour que le camouflage soit "parfait"). Mais voyons d’abord le "mariage particulier". Il s’agit d’un mariage d’amour entre une fille de "haute caste" avec un garçon qui n’est pas de sa caste, mais qui lui aussi, est de "haute caste". Le garçon a immigré en France depuis un peu plus de 10 ans et travaille avec son frère qui est installé en France depuis longtemps. Initialement, aucune des familles n’est d’accord pour concrétiser cette union, mais après quelques années de conflits, les parents de la fille finissent pas céder, car cela devient dangereux pour leur honneur : le garçon a proposé à la fille de fuir de la maison et de le rejoindre dans son appartement (cet acte s’il se réalise est considéré comme étant le plus grand des déshonneurs). Le père accepte et pense que le frère aîné du garçon en question viendra demander la main de sa fille, comme le veut la tradition (c’est le rôle des parents, sinon en absence de ces derniers, un frère aîné, ou une soeur peut remplir cette fonction). Mais au lieu de demander la main de la fille, le père se fait insulter au téléphone par le frère aîné du futur marié. Le jour du mariage, les membres de la famille de la fille et ses amis sont présents, le mariage est organisé dans l’appartement. Aucune préparation n’a été réellement faite, des matelas sont couchés par terre, et on trouve des chaises un peu dans toutes les chambres. On fait asseoir les femmes dans une petite chambre décorée hâtivement le jour même. Les hommes prennent place dans le salon. Les enfants courent à droite et à gauche. La mariée va faire l’ourlet de sa robe de mariée achetée à la Gare du Nord, et va vite se préparer... Elle met ses bijoux achetés aussi à la Gare du nord et, elle est prête. Ces bijoux qui ne sont pas en or provoquent le premier étonnement de la famille, car il faut savoir qu’une mariée ne porte que de l’or (offert par ses parents et sa belle-famille). La robe aussi n’est pas de bonne qualité... Ce mariage semble être étrange... "c’est un semblant de mariage" commence-t-on à entendre...

On sonne à la porte, le marié habillé en costume noir est accompagné de quelques amis : il est venu chercher la mariée*. Le surprise est de taille pour les membres de la famille qui ignoraient que la belle-famille de la mariée n’allait pas accompagner le marié...

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* Le mariage indo-pakistanais ressemble fortement au mariage hindou, la mariée est traditionnellement habillée d’un vêtement rouge et doré, et le marié est habillé en blanc. L’idée est bel et bien du raja qui vient conquérir. Le marié est un prince, et la mariée une princesse, d’un jour. La mariée est exagérément parée de bijoux (offerts par ses parents et beaux-parents), et est aussi exagérément maquillée. Le système de la dot est le même que celui des hindous, c’est la famille de la jeune fille qui doit donner le nécessaire. Il faut noter que le "nécessaire" a pris aujourd’hui une ampleur terrifiante; cela va des meubles de la chambre aux meubles du salon... en passant par la chaîne hi-fi dernier cri, magnétoscope, télévision, moto, voire même une voiture... sans oublier les cadeaux en or destinés à la belle-mère, aux belles-soeurs si l’on veut que la mariée soit respectée, et ait une "valeur" dans sa nouvelle maison. En France, le système de la dot n’est pas aussi oppressant qu’au Pakistan, mais il existe quand même plus ou moins dans les familles. Ceci étant dit, il est encore très tôt pour pouvoir dire quelle importance prendra ce système ici.

Les parents font semblant de ne rien voir et la famille ne dit rien... on continue à observer. La mariée sort de la chambre accompagnée des amies et s’assoie à côté du mari, qu’on fait asseoir dans la chambre décorée de guirlandes.

Un moment plus tard, il l’emmène avec lui.

Ce mariage plus que particulier serait le symbole même de l’humiliation pour une majorité de Pakistanais : une fille qu’on ne vient pas chercher en famille est une fille qui a fui... Pour la communauté pakistanaise, ce genre de mariage ne peut être camouflé et prendre la forme d’un mariage arrangé ou semi-arrangé, malgré l’effort des parents de la mariée. En effet, même si ces derniers ont fait de leur mieux pour que la cérémonie se déroule le plus normalement possible... le fait que la famille du marié ne soit pas présente était une absence trop lourde et flagrante pour que les invités puissent ne pas croire à "un mariage d’amour" imposé par les deux amants, et auquel les parents du marié étaient opposés.

Lorsqu’on essaie de cacher une réalité, ces sont les deux familles qui s’arrangent pour "jouer le jeu."

Le second mariage est un mariage s’est déroulé il y a trois ans, et est dit "semi-arrangé", la cérémonie se déroule dans une salle, dans une banlieue parisienne. La salle est spacieuse, mais a été divisée par un mur en carton. Les mariés sont des jeunes très religieux, la fille se voile depuis sa puberté, le garçon fait ses cinq prières par jour, et enseigne le Coran aux enfants chez des particuliers. Les deux ont grandi en France. Le mariage doit commencer à 19 heures, mais à l’heure prévue, il n’y a personne sauf un vieil ami des parents de la mariée qui s’est engagé à recevoir les invités. Dès l’arrivée de ces derniers, l’ami en question montre aux hommes et aux femmes le côté de la salle qu’ils doivent occuper... Dans toute la salle résonne au plus haut volume une cassette audio sur laquelle sont récitées, en arabe et en ourdou, les sourates du Coran. Après un certain temps, on l’entend de moins en moins. Les invités s’étonnent de voir que les mariés et leurs familles ne sont pas encore présents !... Mais une rumeur circule et nous apprend que le "nikkah"* qui aurait dû avoir lieu dans la salle vers 20 heures a été déjà fait le _________________________

* Le simple contrat de mariage fait en la présence de l’Imam. Il unit le couple, en lisant quelques versets spécifiques à ce moment. Les futurs mariés doivent dire trois fois qu’ils sont d’accord pour s’unir.

matin... Car le marié exigeait que cela soit finalement fait dans une mosquée turque (et on ne peut rien refuser à un marié).

Les invités s’impatientent, tous ceux qui arrivent ne se connaissent pas... la majorité des Pakistanaises sont habillées en shalwar kamiz, une minorité est habillée comme les Maghrébines, elles portent aussi le foulard islamique, et une dizaine d’entre elles sont drapées d’un large tissu noir, qui recouvre même leurs yeux (impossible de dire si elles étaient Pakistanaises ou d’une autre nationalité). Bientôt, il n’y a plus du tout de son de la cassette, la salle se remplit de plus en plus... On forme des groupes, car on a forcément reconnu quelqu’un qu’on n’avait pas vu depuis longtemps... On bavarde, on tient au courant les autres de la rumeur, et on ne comprend pas bien pour quelle raison il y a eu ce changement, et pour quelle raison les deux familles ne sont toujours pas présentes!

Une femme dit à une amie qu’elle n’a pas vu depuis longtemps, que la mère de la mariée lui avait dit qu’elle avait trouvé pour sa fille un garçon très bien qui avait grandi ici, très éduqué (ingénieur), et d’une haute caste ! (la famille de la mariée sont des malik). L’amie répond qu’elle ne sait pas très bien qui sont ces gens avec qui la mariée se lie, mais ils sont très religieux et c’est ce qui compte le plus ! mais poursuit-elle, ce n’est pas un mariage arrangé... le garçon venait faire réciter le Coran à la fille, et c’est comme ça qu’ils se sont connus.

Après deux heures d’attente... les deux familles arrivent enfin. La mariée drapée d’un grand voile (cachant tout son corps) est conduite lentement par son frère, dans la salle où se trouvent les femmes. A l’entrée de la salle, on lui ôte le voile, et on la fait asseoir sur le grand fauteuil rouge finement décoré de fleurs, installé sur un tapis rouge...

La mariée est habillée de très beaux vêtements bordeaux et dorés... et porte des bijoux en or...

Toute la famille est présente, aussi bien celle de la mariée que celle du marié. Ils sont venus d’un peu partout. Tout ce que porte la mariée vient d’Angleterre, dit-on, car là-bas, on a plus le choix et surtout c’est moins cher qu’en France.

Dès que la mariée est installée, les femmes commencent à s’approcher d’elle en masse... et rendent la scène plutôt insupportable, toutes veulent la voir de près... pendant plus d’une demi-heure, on ne peut plus la voir, tant elles sont nombreuses à l’encercler... Dans la "foule" on donne les cadeaux... la mère fait attention à tout ce qui est offert (la tante de la mariée a le rôle d’inscrire sur un carnet le nom des personnes avec ce qu’elles donnent en cadeau - c’est une vieille tradition dont le but est de ne pas oublier de rendre à peu près la même chose aux mariages des enfants de ces invités -). Le frère fait des allers et retours, et reste plus dans la salle des femmes que dans celle des hommes, il prend des photos et filme...

Après environ une heure et demie, on commence à servir le repas, les femmes sont entassées à des tables de six personnes... Sur chaque table on pose déjà deux assiettes de salade, quelques verres en plastiques, et des bouteilles de seven up, de canada dry et d’eau. On apporte tout de suite du poulet rôti, de la viande de mouton aux épinards, ainsi que du riz au curry (lui-même mélangé aux morceaux de viande de mouton ou de boeuf). Certaines invitées venues d’Angleterre disent que chez eux, on prépare toujours un repas pour les végétariens... Car certains de leurs invités sont hindous...

Le repas a été servi dans la vaisselle en plastique, et très hâtivement... On dit, que le cuisinier est venu d’Angleterre, car là-bas, on s’y connaît mieux...

Après une demi-heure, on débarrasse la table.

Les femmes se demandent si elles auront ou non l’occasion de voir le marié. Traditionnellement le marié et la mariée doivent s’asseoir ensemble... On pousse un peu la famille, qui finit par appeler le marié de l’autre côté de la salle. Lorsque les mariés sont assis ensemble, une foule de femmes les encercle à nouveau... On entend tout d’un coup une voix réciter quelque chose en arabe, on ne sait pas ce que sait exactement, les femmes qui ne portaient le dupata qu’autour du cou, le mettent sur la tête, pensant que c’est peut-être une sourate qu’elles entendent... Après quelques minutes, on se rend compte que c’est seulement une chanson en arabe ! (ce sera l’unique chanson de la cérémonie). La soeur de la mariée essaie avec ses copines de pousser des "youyou"* ! Elle commence mais s’arrête aussitôt, car les autres filles ne la suivent pas...

Dans la foule, et avec le temps qui passe, on apprend de plus en plus de choses sur la famille du marié... On apprend ainsi que ce dernier est d’une "basse caste" (cordonnier) et que la mariée avait dû lutter pour que les parents acceptent cette union. Que l’ "ingénieur" avait en fait un BEP... (Tandis que la mère de la mariée avait dit à tous que la famille avec ils se liaient était des gens de haute caste, et que _________________________

* Dans la communauté indo-pakistanaise, pousser des "youyou" pendant les fêtes (ou autre) est une pratique qui n’existe pas. Comme la famille de la mariée se sentait très "arabisée", la soeur avait tenté "d’introduire" cela, mais ce fut accueilli si étrangement qu’elle se tut, et n’osa pas continuer toute seule.

le père du marié avait été ingénieur au Pakistan !).

Par ces deux exemples, nous voyons à quel point les parents essaient de cacher la relation amoureuse de leurs enfants (surtout lorsqu’il s’agit de leur fille). Même si les parents savent qu’un jour ou l’autre l’entourage entier saura la vérité, ou y sera confronté d’une manière évidente le jour du mariage (comme dans le cas du premier exemple), ils tentent de masquer la réalité au plus grand nombre de personnes possible, le plus longtemps possible, et cela même après le mariage...

Dire clairement "Ils s’aimaient", et particulièrement "ma fille l’aimait" est quelque de très dur à prononcer, la dernière phrase est même quasi impossible à prononcer pour eux ! même s’ils comprennent et trouvent qu’il n’y a rien d’anormal à aimer quelqu’un. Ils s’attendent pour la plupart à ce que l’entourage joue le jeu et ne les mette pas mal à l’aise...

Il faut dire que si nombreux sont ceux qui sont prêts à jouer ce jeu, ce n’est pas toujours par gentillesse et ouverture d’esprit, mais c’est simplement parce qu’ils savent qu’il en est ou sera peut-être de même pour eux, et un jour ils devront eux-aussi compter sur la discrétion des autres (du moins en apparence).

CHAPITRE 3

3. ENTRE UNE FRANCE REELLE ET UN PAKISTAN VIRTUEL.

A. Français ou Pakistanais ?...

Dans ce chapitre je tenterai de comprendre le regard que posent les jeunes Pakistanais issus de l’immigration sur la société française, et jusqu’à quel point ils se sentent Français ou Pakistanais...

Généralement, le regard qu’ils posent sur cette question révèle des sentiments ambigus, peu clairs et contradictoires. Les jeunes se disent pratiquement tous être Pakistanais, mais dans les discussions, ils se disent différents des Pakistanais du Pakistan, "on est quand même différent," disent-ils le plus souvent. Une différence difficile à expliquer, car elle n’est pas extrêmement claire pour les jeunes eux-mêmes. Un bon nombre avoue avoir une personnalité contradictoire à force de vivre entre leur maison où règne une atmosphère pakistanaise, et l’extérieur où règne une atmosphère occidentale. C’est une vie à double visage, à laquelle on se fait plus ou moins difficilement. "Etre différent" c’est être ni totalement Français, ni totalement Pakistanais... C’est être quelque chose d’autre, mais cela n’est pas si simple car, comme on vient de le voir dans les précédents chapitres, tous les jeunes issus de l’immigration ne se ressemblent pas. Leurs pensées diffèrent, même si une grande majorité peut comprendre ce que c’est que de vivre entre deux mondes différents et ce que cela peut engendrer dans la vie de tous les jours. Les contradictions peuvent être plus ou moins profondes.

Shabnam commencera par dire que si elle avait eu le choix, elle aurait choisi de vivre dans une seule culture; elle dit aussi que bien que les jeunes soient entre deux cultures, une culture domine plus que l’autre. cela dépend d’un choix personnel que le jeune fait un jour ou l’autre pour vivre d’une manière équilibrée : " Vivre entre deux cultures peut être vu comme quelque chose de très enrichissant, on dit aussi que ce n’est pas donné à tout le monde; même si c’est vrai, je pense que les gens qui disent cela sont des gens qui ne veulent regarder qu’un seul aspect de cette situation. C’est vrai que c’est spécial, et personne ne peut comprendre ce que c’est sauf les jeunes issus d’une immigration. Mais le deuxième aspect est terrifiant, vivre entre deux cultures c’est la peur constante de devenir schizophrène ou de ne réellement pas être honnête ni envers les Français ni envers les parents, ou encore de n’être honnête qu’avec un côté, et pas l’autre; moi, je crois que je me suis assez bien débrouillée, je fais partie des gens "qui ont réussi à trouver un équilibre entre les deux" sans trop de conflits, sans trop de dégâts pour moi-même et pour mon entourage, mais même malgré ça, je peux dire que si j’avais eu (on peut imaginer !) la possibilité de choisir : vivre dans le pays ou vivre entre deux cultures, j’aurais choisi de vivre dans une seule culture, j’aurais choisi d’être "une personne", la vie est déjà compliquée, mais si en plus on doit sans cesse faire la part des choses entre deux mondes qui ne se rejoignent pas, c’est un truc de fou en réalité. Je ne connais pas de jeunes qui soient réellement bien dans leur peau à cause de ça, soit ils choisissent d’être plus Pakistanais et font taire le côté Français le plus possible afin de ne pas décevoir les parents (mariage, comportement , sorties...) soit ils choisissent de devenir plus Français et moins Pakistanais et acceptent de faire face à la déception des parents, une déception constante (sortie à n’importe quelle heure, mariage mixtes...). Je peux dire que la majorité des jeunes ont choisi d’être plus Pakistanais que Français pour satisfaire les attentes des parents, mais un bon nombre d’entre eux sont complètement différents dehors, mais réellement différents ! ils se défoulent une fois qu’ils sont avec les Français, certains acceptent des mariages avec des cousines ou autres Pakistanaises du Pakistan, mais ont des maîtresses ici...

Le regard que je porte sur les Français est un regard contradictoire, et je le sais, et c’est dû à ma différence "je suis et je ne suis pas Française" ! Cette société représente un idéal quelque part, car la majorité des gens font ce qu’ils veulent, les enfants sont libres très tôt, ils profitent de leur jeunesse... Sorties entre amis, vacances, anniversaires, fêtes, tout ce qu’on nous a interdit à nous les filles particulièrement pour ne pas qu’on s’assimile. Ils se marient où ils veulent sans problèmes, ils sont libres, très libres. Personne ne dit rien à personne... Et d’un l’autre côté c’est une société où ils sont justement trop libres, ils ont fait l’usage de la liberté d’une mauvaise manière, je ne pense pas par exemple que ça soit bien que les jeunes aient des relations physiques très tôt; la réalité est que les très jeunes filles se font souvent avoir par les jeunes garçons qui sont à la découverte de la vie... Elles se font avoir parce que les parents ne les préviennent pas. Pour les parents, c’est tout ce qu’il y a de plus normal, ça ne l’est pas pour moi, un corps n’est pas quelque chose qui se donne comme ça juste pour le plaisir de savoir... Disons que la liberté des Français est une liberté qui n’a pas beaucoup de limites, et une liberté sans limites c’est une chose qui nous trompe, qui ne nous mène pas forcément vers une vie saine. Ici, très souvent la liberté est égale à avoir beaucoup de petits copains/copines... Coucher une nuit avec un(e) inconnu(e), laisser tomber quelqu’un quand on en a envie... Il y a dans cette liberté quelque chose de trop égoïste. Mais à part ça, vraiment je ne me sens bien dans cette façon de vivre où personne ne se mêle de vos affaires."

Shakeela résume aussi ce que les jeunes disent d’une manière générale à propos de la société française lorsqu’ils la comparent à la communauté (ou société) pakistanaise : "Ce que j’aime chez les Français, c’est leur liberté, ce sont des gens plus libres que nous, on fait vraiment ce qu’on veut, personne n’est là pour tout le temps poser un regard sur tout ce que vous faites et sans cesse vous critiquer, c’est une société individualiste. Mais de l’autre côté, c’est une liberté qui vous mène aussi vers des choses que nous nous ne pouvons pas faire ou trouver normales, par exemple mettre des minijupes, aller en discothèque, danser avec n’importe qui, boire, ne plus savoir qui on est, sortir avec n’importe qui... Et surtout quand je vois des adultes en train de changer de compagnon si souvent, alors là je me dis qu’ici, en réalité l’amour ça n’existe pas, il n’y a que le plaisir du corps, et ça, ça représente la liberté suprême pour eux. C’est bien parce que c’est libre, et ce n’est pas bien parce que c’est trop libre ! C’est bien parce que c’est une société individualiste, et ce n’est pas bien parce qu’elle est trop individualiste !"

D’après mon observation, et mes entretiens, il m’est possible de dire que la majorité des jeunes aiment le pays où ils vivent même s’ils y voient des inconvénients, même si vivre entre deux cultures leur a posé des problèmes; ils savent qu’ils sont d’ici, et que le Pakistan est leur pays d’origine qu’ils aiment mais où ils ne pourraient pas vivre. Ceci étant dit, une petite minorité accepterait d’aller vivre au Pakistan, mais les conditions qu’ils espèrent alors trouver sont d’une telle exigence que peu de personnes pourraient concrètement envisager un retour au pays. On entend souvent ce genre de phrases : "si on me donne une maison, un chauffeur, une femme de ménage, et que j’ai un bon travail, j’y vais ! je ne vois pas pourquoi je resterai ici !" "je ne peux pas aller là-bas parce que je n’ai rien là-bas, ici même si je ne travaille pas je ne risque pas de crever de faim", "si je peux vivre mieux qu’ici pourquoi pas..." "Tout dépend où au Pakistan..."

Une grande majorité de jeunes sait que le retour au Pakistan est quelque chose de très irréel. Cela concernait surtout les parents, qui pratiquement tous ont vécu avec le mythe du retour. Lorsqu’ils pensent au retour, ils disent rarement qu’ils ne pourraient pas y aller parce qu’ils sont francisés, mais parce qu’ils ne trouveraient pas les mêmes conditions économiques, et que si jamais (dans un absolu) on leur donnait la possibilité de s’établir au Pakistan avec une meilleure situation financière (ou encore la même) qu’ici, ils tenteraient le retour. D’ailleurs il y a eu des cas où les jeunes sont partis sans se poser de questions, parce qu’ils ont tout simplement trouvé un bon travail et savaient d’avance qu’ils allaient mieux vivre au Pakistan qu’ici. C’est le cas du frère de Noor :

"Mon frère avait grandi ici, comme moi... Il avait fait ses études supérieures ici, il est devenu comptable; il a fait une demande de poste au Pakistan dans une entreprise française, et on l’a recruté à Islamabad, il ne s’est pas posé de questions, il est parti. ll s’est marié là-bas, il a une maison, peut se permettre d’avoir un serviteur, et va très souvent au resto... des choses justement qu’il n’aurait pas pu faire ici ! Il est heureux... lui il ne veut pas revenir."

Il existe aussi des cas de filles qui partent en pensant qu’elles n’ont rien à espérer de bien en France. C’est le cas de deux soeurs qui se sont récemment installées au Pakistan; elles avaient un niveau scolaire de 3eme, leur oncle leur a présenté des garçons de bonnes familles, et les deux se sont mariées avec des ingénieurs et vivent une vie qu’elles n’auraient certainement pas pu avoir en France. Ceci étant dit, il est difficile de dire ce qu’il en est vraiment, il faudrait pouvoir rencontrer ces personnes dans le pays pour pouvoir se rendre compte de la réalité de leur situation.

Yasmine illustre elle aussi ce que beaucoup de jeunes pensent : "Pour moi, les Français sont des gens perdus, dans le sens où il n’ont plus de culture, ils n’ont pas de religion, ils sont baptisés mais ils ne savent rien de tout ça, et les enfants n’attendent qu’une chose : avoir 18 ans et se tirer de la maison. Quant aux parents ce n’est pas mieux, ils refont sans cesse leur vie, et jouent aux jeunes, les mères ont tellement de copains; les pères aussi, et les enfants ont 36 000 demi-frères et soeurs... C’est normal pour eux de voir leur mère se faire un copain dès qu’elle en perd un... Alors qu’à nous, ça nous choque, ça serait une fois, encore ça nous choquerait pas, mais là, ça devient de plus en plus grave sur ce genre de choses, je me dis qu’on est vraiment pas comme eux. Et d’un autre côté sur beaucoup d’autres points, c’est bien, il y a une liberté que j’aime bien et que j’aimerais bien avoir."

Il est flagrant que ce qui choque le plus les jeunes c’est la liberté sexuelle des Français, c’est ce qui revient le plus souvent dans les entretiens. Ils voient d’un oeil critique cette liberté qu’ils pensent sans limites. Mais mis à part cette liberté, une grande majorité voudrait vivre comme les Français (plus de sorties, les vacances avec les amies, une liberté plus grande pour choisir son partenaire...).

Il est certain que par là ils se différencient de leurs parents qui, même dans les plus petits détails, veulent se distinguer des Français. - Muhammad Anwar dans Pakistani in Britain* souligne aussi que les conflits entre parents et enfants naissent essentiellement d’un manque de liberté ressenti par les jeunes. (p 60) "I observed that there were, among others, at least three issues which affected the relation between Pakistani parents and their children. These were : western clothes, particularly for girls, arranged marriages and the question of freedom." Dans l’ouvrage, nous pouvons aussi lire que si les jeunes adoptent plus ou moins le comportement que les parents exigent d’eux, ils ne sont pas d’accord avec ces derniers sur beaucoup de points. (p 60-61) "In the study I found, for instance, that 43 per cent of young Pakistanis did not see anything wrong with girls wearing western clothes. More than half (60 per cent) felt that more and more young people would rebel against the arranged marriage system. Also, a majority of 72 per cent felt that English people of their own age had a lot more freedom than they had, and 33 per cent clearly expressed that they would like more freedom than their parents gave them. At the same time 32 per cent of parents and 47 per cent of young people admitted that they had family disagreements. The areas of differences seem very wide but the young peaple mentioned more frequently than their parents these issues: clothes, arranged marriages and freedom, ‘things done in spare time/leisure’. It appears that the adolescent Pakistanis resent some of the restrictions imposed by their parents because of the social and psychological gap between them and their parents due to different social environment and education. The world at home is different from that of school and community. Young people are part of both worlds. As the example mentioned above illustrates, this situation increases the worry of Pakistani parents and desperate attempts are being made to keep young people within the family-kinship fold and culture."

Il paraît logique que les jeunes donneront une liberté plus grande à leurs enfants, et leur permettront ainsi de s’intégrer plus aisément à la société française, car en effet un bon nombre de comportements qui sont jugés anormaux par leurs parents, sont jugés comme normaux par les jeunes; prenons l’exemple du cinéma : une fille Pakistanaise a rarement le droit d’aller au cinéma avec ses amis, cette conduite est considérée comme étant une conduite de mauvaises filles ou de filles trop libres, et "non Pakistanaise.".. Ayant vécu ici, cela paraît tout à fait normal pour les filles _________________________

*Pakistani in Britain, Muhammad Anwar, op cit p57.

d’aller voir un film au cinéma... Un autre exemple peut être celui des vacances. En Europe, depuis peu, les vacances sont mises en valeur à l’extrême; pour les Pakistanais c’est une perte de temps, ainsi qu’une perte d’argent inutile; les vacances pour eux doivent se limiter au pays et aux visites familiales, très peu comprennent pour quelle raison les européens "traînent comme des gitans" à droite et à gauche... Cette idée n’est pas partagée par les jeunes de la deuxième génération, qui prônent eux aussi les vacances comme étant quelque chose d’enrichissant, et il est très fréquent de les entendre dire qu’une fois qu’ils seront indépendants, ils voyageront beaucoup; les pays qu’ils voudraient visiter sont souvent ceux qui sont aussi cités par une majorité d’européens (Italie, Espagne, Grèce, Turquie...)

Les jeunes issus de l’immigration vivent au quotidien avec leurs contradictions; afin de trouver un équilibre entre deux mondes tellement différents l’un de l’autre, ils optent pour "l’alternance des codes", selon l’expression employée dans l’ouvrage de J.W. Wellet, A. Nehas, et M. Sghiri : Les perpectives des jeunes de l’immigration Maghrébine, pour parler de ce double comportement, plus ou moins accentué, des jeunes issus de l’immigration Maghrébine. (p 78) "(...) On pourrait multiplier à loisir les exemples qui illustrent ce phénomène ‘d’alternance des codes.’ Selon les circonstances, ces jeunes s’assoient dans des rôles d’élèves, d’enfants d’immigrés, de jeunes musulmans, de membres d’un groupe de rap, d’adhérents à un club de sport, d’habitants d’un quartier et, en conséquence changent de codes culturels, de système normatif voire de forme identitaire. Cela signifie qu’ils adoptent ou manipulent l’image d’eux-mêmes et leur comportement en fonction du rôle qu’ils assument dans chaque groupe : en effet, l’intégration dans chacun de ces espaces de socialité suppose l’appropriation de leurs codes, de leurs normes et de leurs rites."

B. Langues et Culture.

Au Pakistan, il existe de nombreuses langues et dialectes comme le pathan, le panjabi, le sindi, le baluchi... Mais seules deux langues sont officiellement utilisées. Dans la majorité des écoles l’enseignement est donné en ourdou, mais dans une petite minorité d’écoles (privées et chères) l’enseignement est exclusivement donné en anglais, et où l’ourdou est une sorte d’option.

Comme nous l’avons vu, la majorité des Pakistanais qui ont immigré en France sont originaires du Panjab. Leur langue maternelle est le panjabi, mais un nombre considérable a choisi de parler avec leurs enfants en ourdou; les familles qui ont un niveau d’éducation peu élevé sont aussi capables de parler cette langue (même s’ils ne la parlent pas aussi bien que les lettrés). Parler l’ourdou avec les enfants n’est pas un simple phénomène de mode, car depuis plusieurs années il a entraîné un réel changement de comportement et s’est fait une place primordiale dans la vie de tous les jours; il a pris une telle importance au Pakistan que pratiquement tous les Pakistanais parlent en ourdou avec leurs enfants. Le panjabi est devenu une langue qui ne doit être parlée qu’avec les membres de la famille; dans tous les cas, la parler avec un enfant fait rire. C’est un signe "backward", et il n’est pas rare d’entendre au Pakistan des propos (tenus par les Panjabis eux-mêmes) tels que : "ils sont tellement arriérés qu’ils parlent en panjabi avec le dernier de la famille", ou s’adresser à un enfant violemment lorsqu’il s’amuse à parler le panjabi : "urdu me bat karo !!" "panjabi na bola karo !! (parle en ourdou ! ne parle pas en panjabi !)." Il est surprenant de voir de telles attitudes, qui révèlent le peu d’estime que les Panjabis ont d’eux-mêmes ou de leur langue; on ressent une réelle honte à parler le panjabi devant un étranger...

Une étude devrait envisager de comprendre ce comportement adopté par tous; il est comme naturel d’en finir pour de bon avec le panjabi. En effet, il y a eu pendant ces dernières années une telle tentative collective d’anéantissement de la langue panjabi, qu’il semble que cela ait quelque part créé une réaction violente et inattendue de la part des artistes. Beaucoup de chanteurs Pakistanais et indiens (du Panjab) ont voulu chanter dans la langue qui faisait désormais honte, et ce qui est paradoxal, c’est que ces chansons panjabies ont eu, et ont, un succès extraordinaire !

En France, ce comportement vis-à-vis du panjabi n’a pas été aussi flagrant qu’il ne l’a été (et continue de l’être) au Pakistan; ici, plus d’une bonne moitié des familles parle en panjabi, et se désole de voir ce qui se passe au Pakistan; quant aux Pakistanais du Pakistan, ils s’étonnent de voir des "Pakistanais d’Europe" (des gens considérés comme étant modernes, car vivant en Europe...) parler si aisément le panjabi ! (signe "backward").

En France, une grande majorité des parents ont tenu à enseigner un minimum d’ourdou à leurs enfants. Ils ont ramené du Pakistan des cahiers et donné parallèlement à l’éducation française, une éducation pakistanaise; il était essentiel pour eux que leurs enfants sachent au moins un peu lire et écrire l’ourdou. Ceci dit, il y a des inégalités dans ce domaine, certains jeunes ne savent que déchiffrer l’ourdou, alors que d’autres peuvent au contraire très bien se débrouiller. Mais peu maîtrisent très bien la langue (lire des romans, les journaux...). Cela est bien sûr souvent dû au temps que les parents (père ou mère, rarement les deux) ont passé à cet enseignement. Nous voyons quelque chose d’assez surprenant : la musique indienne/pakistanaise (notamment les chansons de films indiens) a beaucoup contribué à l’amélioration de la langue ourdou/hindi pour ceux dont la langue parlée à la maison est le panjabi.

Shakeela lit peu l’ourdou, et ne l’écrit pratiquement pas. C’est le cas de beaucoup de jeunes qui après avoir reçu cet enseignement pendant l’enfance, n’ont plus plus été suivis une fois adolescents : "On parle le panjabi à la maison, et je parle mal l’ourdou, je le lis plus ou moins bien, il m’arrive de lire un article de ‘Jang’ (journal Pakistanais), mais ça me prend du temps. C’est ma mère qui nous appris l’ourdou jusqu’au niveau CM2; je peux dire que si je me débrouille bien à l’oral, c’est beaucoup grâce aux films et aux chansons, c’est très important d’être liée à tout ça, surtout pour la langue."

Noor renchérit : "On parle le panjabi à la maison, mais chez moi, il n’y a pas vraiment de discussion, le dialogue est si restreint qu’avec ma mère, depuis 4, 5 ans on parle en Français, (ma mère maîtrise bien la langue), et ça se résume à quelques phrases. Avec mon père, je parle le panjabi, avec ma soeur c’est bien sûr le Français, mais on a des expressions qui nous sont propres, des phrases à moitié Françaises, à moitié panjabi ! mais, quand j’aurai des enfants, je leur parlerai en ourdou, pas en Français. Mon ourdou, je peux l’écrire un peu, mais quand j’écris des lettres ça va plus vite de transcrire que de l’écrire avec les caractères arabes; je peux lire des articles de journaux, mais je ne suis pas très à l’aise. Moi, ce ne sont pas mes parents qui m’ont appris l’ourdou, on avait un Imam qui venait nous enseigner le Coran et comme il était Pakistanais, c’était aussi lui qui nous apprenait la langue, je savais un peu la lire et l’écrire avant, en fait je ne sais trop comment je l’ai appris si bien ! Les films et la musique m’ont beaucoup aidée. Je me suis aussi inscrite à l’INALCO pour mieux le connaître. Par contre ma soeur qui est plus jeune que moi, elle a 18 ans, elle ne sait pas beaucoup le parler." Il est intéressant de souligner ce que dit Noor. Elle ne maîtrise pas bien l’ourdou (comme la majorité des jeunes), mais pense l’apprendre à ses futurs enfants; il y a là une "identité rêvée" (qui est écorchée pour elle-même) qu’elle pense transmettre à une troisième génération. Cette volonté de parler l’ourdou avec ses enfants n’est pas présente chez beaucoup de jeunes...

Quant à Shabnam elle dira de la langue ourdou : "notre langue", alors qu’elle parle le panjabi chez elle, et relève ainsi un point très important : celui de la fusion entre une nation et une langue, Etat et langue. Elle n’est pas la seule à attribuer à l’ourdou ces deux mots. Une majorité de Pakistanais parle de la langue ourdou comme étant "La langue" du Pakistan, toutes les autres disparaissent soudainement de l’esprit. Cette fusion entre la langue et un Etat donne une identité à part... : "C’est mon père uniquement qui m’a appris l’ourdou, c’était extrêmement important pour lui qu’on sache notre langue, mais on parlait en panjabi à la maison. C’était si important que c’était pratiquement tous les jours qu’on l’apprenait, et surtout pendant les week-ends. Mais avec le temps, il a laissé tomber, je crois qu’il s’est aussi rendu compte que finalement on n’allait pas repartir au Pakistan pour le moment, et qu’on n’avait pas besoin d’avoir forcement le même niveau scolaire que les enfants Pakistanais du Pakistan de notre âge !... peut-être ? mais en réalité, je ne sais pas pourquoi d’un jour à l’autre, il y a eu abandon de quelque chose qui au début était fondamental. Avec les petits, il n’a même pas essayé! c’est vraiment étonnant, comme si ce n’était vraiment plus nécessaire. Mais l’oral est important, car il faut que tous soient capables de communiquer avec la famille... Nous avions le niveau de la 5ème, ou 4ème... c’était pas mal, et les petits n’ont aucun niveau ! Mon père ne leur demande jamais d’apprendre !... J’ai par la suite, (vraiment tard je crois), vers l’âge de 21 ans pris conscience que c’était important de ne pas oublier sa langue, je ne savais plus l’écrire, et ne pouvais la lire que très peu, j’ai donc appris à nouveau; aujourd’hui je me débrouille bien, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Mais encore une fois, je ne sais pas si ça va servir à quelque chose, un jour au l’autre, le panjabi et l’ourdou en France seront condamnés... Très très peu de personnes verront la nécessité de l’apprendre... je ne sais pas." Shabnam et Noor font parties des jeunes qui ont eu le désir d’apprendre correctement l’ourdou à l’Université. Depuis peu, nous voyons quelques Pakistanais s’inscrire à l’INALCO, chaque année.

Etant la dernière de la famille Yasmine a été la moins poussée à apprendre l’ourdou. Les aînés subissent souvent plus de pression que les cadets : "Je suis la dernière de la famille, et contrairement à mes frères et soeurs, je ne sais pas lire l’ourdou, je déchiffre à peine, et je ne peux pas l’écrire. On ne m’a pas poussée à le faire. Je sais le parler grâce aux chansons uniquement !"

Ali est le seul à ne connaître aucune des langues indiennes : "Mes parents parlaient entre eux l’anglais. Mon père ne parlait pratiquement jamais sa langue qui était l’ourdou. Je ne parle pas non plus cette langue. Mon père a un moment essayé de nous l’apprendre quand on était jeune (par l’écriture) mais il n’avait pas le temps et a vite abandonné. Il a alors essayé l’anglais, mais je dois dire que, de mon côté, contrairement à mes soeurs et frère, je n’ai jamais réellement apprécié cette langue, que je comprends sans beaucoup la pratiquer.

Les derniers de la famille sont plus nombreux à parler l’ourdou alors que les aînés parlent le panjabi; lors des séjours au Pakistan, les parents se rendent compte de leur "retard" et le rattrapent ainsi. Cependant, même si la langue maternelle des cadets devient l’ourdou et non le panjabi, ils ne savent pas aussi bien lire et écrire leur langue maternelle à cause du laxisme des parents... Quelques parents ont même choisi de parler en Français avec leurs derniers, peut-être parce qu’ils maîtrisent aujourd’hui mieux la langue française. Parler une langue étrangère, surtout européenne, est toujours vu comme une sorte de prestige. Au Pakistan, les parents qui maîtrisent l’anglais, ne parlent même plus en ourdou, laissant cela "au gens moyens", et ne parlent qu’en anglais avec leurs enfants. Le Pakistan vit en ce moment une période très importante en ce qui concerne la question des langues. On ne sait trop pour l’instant ce qu’il adviendra de la diversité linguistique du Pakistan, mais il est évident que si cela continue ainsi, le panjabi disparaîtra sous peu, et l’ourdou laissera de plus en plus place à l’anglais. Lors d’un séjour au Pakistan, j’ai assisté à quelques discussions sur ce sujet. On m’a ainsi appris que les gens éduqués ne parlaient certes qu’en ourdou, mais ceux qui étaient "encore mieux éduqués" ne parlaient et écrivaient qu’en anglais, car communiquer en anglais signifiait avant tout que l’on était allé dans de bonnes écoles anglaises, ce qui d’emblée veut dire que l’on ne vient pas de n’importe quelle classe sociale.

En France, la question de l’apprentissage de la langue en groupe a longtemps été négligée; les parents ressentaient certainement l’absence d’associations, mais se contentaient de faire tout eux-mêmes. Aujourd’hui, certains professeurs qui ont immigré ici proposent de donner des cours d’ourdou chaque semaine, chez eux. Mais ce genre de propositions est encore rarissime, et risque de le rester, car la communauté pakistanaise est très dispersée, et ces classes ne sont possibles que dans des lieux où il y a un nombre considérable de Pakistanais. Qu’en sera-t-il donc du panjabi et de l’ourdou dans une vingtaine d’années ? Je pense qu’il est trop tôt pour pouvoir y répondre, mais personnellement je pense que ces langues seront dans une grande majorité amenées à se perdre. D’après mon observation, j’ai vu que les jeunes qui ont des enfants, et qui ne maîtrisent pas eux-mêmes très bien leur langue maternelle, choisissent la voie de la facilité. Pour eux il est plus naturel de parler avec leurs enfants en Français qu’en ourdou ou en panjabi, tout comme il était et est plus facile pour eux de parler en Français avec leurs frères et soeurs...

Parmi les jeunes de la deuxième génération, qu’ils soient éduqués ou non, la musique indienne/pakistanaise tient une place très importante dans leur vie. Une grande majorité considère que la musique indienne (tout autant que la musique pakistanaise) fait partie de leur culture, qui permet d’avoir une lien constant avec le continent indien; être au courant de ce qui marche dans le pays leur semble être important... Le style de musique le plus écouté reste, comme en Inde/Pakistan, une musique de variété : les chansons de films indiens, mais aussi les qawalis*1, et les ghazals*2... La musique panjabie est aussi très écoutée, aussi bien celle qui vient d’Inde/Pakistan que celle qui vient d’Angleterre; la musique composée par les indiens/Pakistanais d’Angleterre a sa spécificité, c’est souvent un remix flagrant d’une musique anglo-américaine et indienne. Les artistes "asians" les plus connus d’Angleterre sont Bali Sagoo, Apache India, Jazzy B, et bien d’autres. Nusret Fateh Ali Khan est le plus écouté des Qawal.

On peut dire qu’en ce qui concerne la musique, les jeunes ressemblent aux Indiens/Pakistanais du pays; la seule différence dans ce domaine est que leur goût est partagé entre une musique indienne et ce qui marche en France.

Chacun a découvert la musique indienne différemment, certains l’ont écoutée dès le plus jeune âge, d’autres bien plus tard. Certains éprouvent une certaine gêne à l’écouter face aux amis Français, d’autres pas...

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*1. "Qawali : Chants d’amour arabes et urdu au rythme rapide [...]. Les hamd (ou manqabat) sont des chants en l’honneur d’Allah, et les ghazal composent ce genre particulier de poèmes chantés. Dans le nord de l’Inde, les mendiants musulmans (fakir) chantent ces poèmes en frappant des mains et en balançant la tête en une sorte d’extase." Dictionnaire de la civilisation indienne; Louis Frédéric. Ed. Robert Laffont.

*2. "Forme poétique commune en persan, en arabe et en urdu (également en turc), tirée de chants populaires du 7ème s, de stances chantées en s’accompagnant d’un instrument. Elle prit sa forme définitive vers le 8ème s. A l’origine, le ghazal n’avait qu’un couplet de 4 à 12 vers mais il atteint au moins 15 vers. Traditionnellement, le nom du poète (thakhallus) doit se trouver dans le dernier vers (ou dans la dernière stance lorsque le ghazal se compose de plusieurs poèmes). Chaque stance se termine parfois par une sorte de refrain appelé radif. Les poètes musulmans en pashto et autres langues indo-européennes utilisèrent aussi cette forme poétique qui fut très en vogue en Inde à la cour des souverains musulmans."Dictionnaire de la civilisation indienne. Louis Frédéric. Robert Laffont.

Shabnam raconte que c’est lors d’un séjour au Pakistan qu’elle a appris à aimer la musique indo-pakistnaise : "Je n’écoutais pas du tout la musique indienne et encore moins pakistanaise jusqu’à un âge avancé, pour moi la seule vraie musique c’était la musique américaine, je n’aimais même pas la musique française. J’ai commencé à l’aimer lors d’un séjour au Pakistan, vers l’âge de 12 ans; j’ai aimé quelques chansons, mais très peu, et petit à petit j’ai continué à écouter les nouvelles chansons, ça était un grand soulagement pour ma mère qui se demandait pour quelle raison je ne la laissais pas écouter la musique indienne. J’étais très égoïste, je ne mettais que la musique américaine ! Ce qui est étonnant c’est qu’après quelques années, c’était parti, j’adorais les chansons de films, et voulais les faire écouter à mes amis ! je trouvais ça tellement bien; d’ailleurs je me souviens qu’un jour j’avais emmené un walkman au collège et j’avais fait écouter des chansons de films à des amies ! et je demandais : c’est bien hein ? Mais, je continuais à écouter en parallèle ce qui marchait en France, écouter la musique indienne ne m’a pas isolée de la musique américaine ou autre, elle m’a juste permise de me rapprocher de mes origines. J’ai commencé à fouiller de plus en plus, et à écouter toutes sortes de musiques, allant des ghazal aux qawali... Et c’est toujours le cas aujourd’hui."

Si la grande majorité porte un grand intérêt à la musique indienne, et notamment aux chansons de films indiens, une bonne moitié d’entre eux n’ont aucun intérêt pour les films eux-mêmes :

Yasmine : " J’écoute le plus souvent le rap, parce que je me sens près de ce qu’ils disent, enfin oui, et non, on a pas des problèmes comme eux, mais comme ils ont eu pratiquement la même histoire d’immigration, je me sens près d’eux, je les comprends. Mais j’écoute aussi la musique indienne, surtout les chansons de films, seulement ce qui me gêne c’est que c’est à l’eau de rose, ça ne parle souvent que d’une chose : tes beaux cheveux noirs, ta superbe démarche..., j’attends en fait un peu plus des chansons. Ceci dit, j’ai écouté la musique indienne depuis mon enfance !"

J’ai souvent remarqué que les films indiens n’étaient régulièrement regardés que par les jeunes très peu éduqués. Ces derniers les "dévorent" et les connaissent pratiquement tous par coeur; ils sont souvent prêts à vous raconter les histoires de films qu’ils ont toujours très récemment vus. Cela est différent pour les jeunes qui ont un niveau d’éducation élevé. Ces derniers, s’ils regardent les films indiens, les sélectionnent et attendent des films une certaine logique, une profondeur qu’il est difficile de trouver dans le cinéma indien destiné au grand public (mais non dans le cinéma parallèle, qui est destiné à un très petit public, surtout européen; notons que ce cinéma reste méconnu par la plupart des jeunes, une grande majorité n’a jamais entendu parler de Satiyajit Ray par exemple, et ignore même le mot de "cinéma parallèle"). Le cinéma indien est une industrie, qui produit le plus grand nombre de films au monde, et l’Inde est certainement l’un des rares pays où les acteurs tournent une dizaine de films en même temps, sans souvent savoir ce qu’ils font ! Il est donc quelque part normal que l’histoire qui constitue le film reste majoritairement médiocre, et par moment réellement surréaliste : un homme qui tombe d’un grand bâtiment reste sain et sauf, il est capable à lui seul de défier une centaine de personnes; une vache qui réfléchit; un chameau qui parle... ou encore (le plus souvent) une histoire à l’eau de rose, des amants séparés, qui finissent par se réunir et se marient à la fin du film... Il est vrai qu’à côté de tels scénarios, il existe aujourd’hui des films qui essaient de se défaire de ce genre d’histoires et traitent de sujets plus sérieux et profonds, des faits de société... (mariages entre hindou-musulman, l’indépendance de l’Inde, les femmes maltraitées, les superstitions...). Alors que certains jeunes regardent tout ce qu’ils trouvent, d’autres font une sélection et ne regardent que de temps à autre.

En France, certaines familles se sont abonnées à la télévision indienne "Zee TV"*, mais en restent fort insatisfaites, et beaucoup d’entre elles n’ont plus donné suite à l’abonnement. Zee TV est une chaîne qui ne peut plaire à tous les Pakistanais/indiens, car elle se contente de passer du matin au soir des films médiocres... Elle passe aussi des séries plus que misérables, et des programmes de cuisine... Aucun programme ne parle des faits de société, n’aborde un sujet "un peu intellectuel." Le niveau de Zee TV est un niveau encore moins élevé que celui de TF1.

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* 1. ZEE TV :Avant ZEE TV, TV Asia a été la première télévision payante diffusée par satellite (et câble) pour la communauté du sous-continent indien vivant en Europe. Cette chaîne appartenait à la société Asia TV LTD, et a commencé à transmettre ses émissions à temps partiel en Juillet 92, elle a réussi à avoir 250 000 abonnés en Europe. Depuis peu de temps, TV Asia a été achetée par le groupe Essel, groupe indien qui a fondé en Inde "ZEE TV", une chaîne (aujourd’hui la plus populaire dans le sous-continent indien) diffusée par satellite. TV Asia a donc changé de nom pour devenir Zee T.V. Depuis, cette chaîne diffuse des émissions pratiquement 24h/24h, et a accès à la production et au programme de ZEE téléfilms limited... La langue de communication est le hindoustani (hindi-ourdou). ZEE T.V a pour objectif de s’installer là où il y a une forte communauté indo-pakistanaise, Amérique du nord, les Antilles, l’Asie du sud-est...Cette chaîne est donc déjà présente en Europe, en Afrique du Sud, Amérique du nord... (Une radio "asian" est elle aussi écoutée en Europe grâce au câble. Elle passe des chansons indiennes (de toutes sortes : anciennes et nouvelles, qawalis ou ghazals...) mais parallèlement à cela elle propose des programmes tout à fait intéressants, où l’on demande aux auditeurs de participer, soit pour faire de la poésie, soit pour débattre sur des sujets spécifiques et d’actualité... qui souvent les concernent de très près.

En France, on trouve dans la communauté pakistanaise une spécificité que l’on ne trouve pas forcément ailleurs. En général, les Pakistanais qui émigrent sont très attachés à leurs vêtements traditionnels, et font en sorte que leurs filles ne s’habillent qu’en shalwar kamiz. Je ne sais ce qu’il en est exactement dans tous les pays où l’on trouve des Pakistanais, mais en Europe les Pakistanaises qui vivent en Angleterre en fournissent un exemple indéniable et prouvent ce solide attachement : la deuxième génération de filles Pakistanaises porte le shalwar kamiz, avec le dupata soit enroulé autour de la tête, soit autour du cou; et seule une petite minorité porte des vêtements européens. Même si ces dernières font de longues études et habitent pour un laps de temps dans des campus, elles continuent à s’habiller traditionnellement. En France, la première génération de femmes Pakistanaises porte le shalwar kamiz avec le dupata, mais en ce qui concerne la deuxième génération, les filles portent des vêtements européens : jeans, pantalons, jupes longues... Si elles n’ont pas pas été autorisées à s’habiller à l’européenne dès leur enfance, elles l’ont été un peu plus tard, (mais il y a des cas isolés où les filles ne peuvent s’habiller qu’en shalwar kamiz). Je pense que si en France les Pakistanaises de la deuxième génération se distinguent par leur habitude vestimentaire, c’est parce qu’elles ont souvent été isolées des autres Pakistanais, et n’ont donc pas été exposées aux regards de ces derniers; les parents se sont sentis plus libres de laisser leurs filles s’habiller en vêtements européens, c’est aussi vis-à-vis d’elles que les parents ne se sont pas montrés rigides sur cette question. Voyant que leurs filles ne seraient pas à l’aise de porter, elles seules, des vêtements si différents, ils les ont laissées ressembler aux Françaises, au moins du point de vue vestimentaire (cependant cette autorisation a toujours eu des limites; il est pratiquement impossible de voir une Pakistanaise porter une minijupe, ou des décolletés trop grands, ou encore des vêtements trop près du corps...).

Il n’est pas rare d’entendre de la bouche des hommes et des femmes de la première génération qu’il ne faut pas montrer ostensiblement une trop grande différence lorsqu’on habite dans un autre pays. Tout en connaissant parfaitement leur différence, seraient-ils eux-aussi amenés à adapter les "codes d’alternance" à un degré moindre que celui des enfants ?... Ou serait-ce une adaptation non "acceptée", une "petite assimilation" que l’on préférerait étiqueter comme une sorte de "comportement obligatoire à jouer"?... un rôle à prendre et à jouer avec un esprit critique...

Serait-ce vraiment la description exacte de leur situation ?... Beaucoup de Pakistanais de la première génération ont un esprit très lucide et résument bien la situation, parlent d’une réalité telle qu’elle est... Le mot d’adaptation et d’intégration ne leur fait pas peur. Ils désirent faire de leur mieux pour aller vers cette direction, alors que d’autres croient à une fatalité, où l’intégration n’est pas possible, où s’adapter veut simplement dire se trahir !... Mais parmi ces Pakistanais qui se cachent derrière un masque, il y a des personnes qui sont en réalité "intégrées" et habituées à la vie européenne. Mais dans leur coeur, elles ne l’acceptent pas encore...

Une femme dit à ce sujet :

"Je crois qu’il faut avant tout penser par soi-même, la réalité est que les temps changent à grande vitesse, et il faut savoir vivre avec son temps; on vit désormais en France, la réalité elle est là, vous ne devez pas rester dans un passé figé, il faut se dire qu’au Pakistan aussi il y a une évolution constante, pourquoi nous on refuse d’évoluer sous prétexte de garder des traditions... Il faut savoir qui on est, il faut garder sa culture et sa religion mais pas à l’extrême, ne pas être embêtant pour les enfants, il ne faut pas vivre comme de "vrais Pakistanais" en France, il faut désormais écouter les enfants aussi, je ne veux pas les décevoir, je ne veux pas qu’ils se sentent mal. Nous mêmes on a changé, quand j’étais venue en France je n’étais pas ce que je suis aujourd’hui, je me suis adaptée tout en restant Pakistanaise... Je suis fière d’être ce que je suis, je suis bien mieux que ceux qui se mentent, pensent être de vrais Pakistanais, souffrent et font souffrir... ceux-là se trompent.

Il faut s’adapter au pays d’accueil, les enfants, ce n’est pas de leur faute, ils ont grandi ici, c’est normal par exemple pour les filles de porter un jean... et puis qui a interdit les vêtements européens, du moment que c’est décent ? Et puis chacun fait ce qu’il veut... Ce n’est pas parce que vous serez habillée en shalwar kamiz et que vous aurez la tête bien enroulée d’un dupata que vous serez forcément une sainte !"

Ce genre de phrases vient régulièrement dans la bouche d’un nombre considérable de migrants, aussi bien Pakistanais que Maghrébins. La question du foulard est très souvent discutée et donnée en exemple lorsque l’on parle d’adaptation. Le foulard est un sujet de discorde au sein même de la première génération. Le fait de porter un foulard est peut-être un signe de décence, mais beaucoup sont prêts à l’assimiler à un signe d’hypocrisie, car certaines femmes ne le portent que pour mieux jouer un double jeu - Un certain nombre de jeunes filles voilées avouent qu’elles portent le voile pour avoir plus de liberté. Un passage de l’article de Hanifa Cherifi* _________________________

* Article dans Hommes et migrations, op cit p21.

surenchérit ce que nous venons de dire : (p 28), "Ainsi paradoxalement, le voile apparaît comme un moyen singulier d’émancipation pour les jeunes filles. Elles disent explicitement se sentir plus libres depuis qu’elles le portent parce que la surveillance des parents est moins stricte. Une fille en tchador, tout habillée en noir, dit en souriant : ‘je n’ai jamais été aussi libre que depuis que je porte le voile.’ Il y a vingt ans, ces mêmes jeunes auraient vraisemblablement choisi la fugue pour échapper à la famille." -

Si les Pakistanais vivaient relativement tranquilles jusqu’ici, ce ne sera peut-être pas le cas dans quelques années ?... Depuis quelque temps, un phénomène nouveau a eu une influence très importante sur beaucoup de familles qui vivaient jusqu’ici "comme tout le monde." En effet, beaucoup sont devenues du jour au lendemain très rigides dans leur comportement, ont fait mettre le voile "arabe" aux filles - soulignons tout de même que même si certaines jeunes filles se sentent plus libres en portant le voile, ce n’est pas le cas d’une majorité d’entre elles. Les adolescentes de 13-14 ans le portent simplement parce qu’on leur a ordonné de le faire. (Doit-on aussi rappeler qu’en France dans certaines villes, les parents sont payés afin qu’ils fassent porter à leurs filles le voile islamique ? Hanifa Cherifi écrit : (p 29) "Il arrive aussi que les familles reçoivent un soutien financier non négligeable de la part d’associations islamiques : la rumeur court, dans le milieu turc, que les familles perçoivent mille francs quand elles encouragent leurs filles à porter le voile; à Lyon, une jeune fille d’origine algérienne a confirmé que sa famille bénéficiait de l’aide financière d’une ‘organisation’ pour soutenir son père au chômage."

Chacun est retranché dans son camp religieux; les parents ont vu leurs enfants devenir plus traditionnels et plus religieux qu’eux; ce comportement a fait la fierté des parents, et n’a absolument pas engendré de méfiance, ou d’angoisse. Ce "nettoyage du cerveau" était voulu. C’est avec fierté qu’un parent dit : "mon fils ne nous laisse plus vivre en France, il nous dit que c’est un péché, et que si on continue à vivre là, on risque d’aller en enfer !... Vraiment, nous, on est heureux que nos enfants, qui ont grandi dans un pays comme la France soient plus musulmans que nous, Dieu nous a sauvés !! on est des élus !... Mon fils a laissé pousser sa barbe, et il s’habille en shalwar kamiz ! à chaque fois qu’il sort, il se fait contrôler ! (rire)."

Ces cas extrêmes restent encore minoritaires, mais en ce moment même ce repli connaît une progression assez constante. Il est difficile de dire si cela s’arrêtera là, ou si cela prendra de plus en plus d’ampleur, ou encore si on aura affaire à deux sortes de communautés Pakistanaises, une relativement ouverte d’esprit, et une autre qui serait à la recherche de ses "vraies racines" - car notons que cette minorité a tendance à laisser de côté de nombreuses traditions Pakistanaises et opter pour des traditions arabes (assimilées aux traditions musulmanes). Le foulard arabe que portent ces femmes Pakistanaises, par exemple, est une sorte de "retour aux sources islamiques." Le fait de vouloir ressembler "aux arabes" leur donne, selon eux, une image plus "noble", car le prophète était arabe, et que le Coran a pris naissance sur la péninsule arabique. Leur but est de quitter ce qui est "panjabi" - qui est vu comme arriéré, et surtout "taché" d’emprunts hindous - pour aller vers ce qui est "arabe" - qui est plus chic, et pur... plus proche du "véritable Islam".

Quoiqu’il en soit, j’ai remarqué que les jeunes ne devenaient pas très religieux par hasard, ils ont au moins un des parents (souvent les deux) qui a des idées très strictes ou intégristes. Ils ont aussi une croyance qui les mène à penser qu’ils ont une "mission" à accomplir : celle de propager le "vrai Islam", et mettre sur la bonne voie les gens perdus, selon eux...

C. Les jeunes issus de l’immigration pakistanaise par eux-mêmes, face à quelques valeurs traditionnelles.

En réalité, l’enfant de l’immigré ne sait pas grand chose de son pays de manière concrète... Certains jeunes n’ont jamais mis les pieds au Pakistan, d’autres y sont allés une ou deux fois, au plus 5 ou 6 fois (exceptionnellement). Ils ne savent réellement de ce pays que quelques miettes... Mais quelque part, il est étonnant de se rendre compte que cette deuxième génération semble "tout connaître" de son pays d’origine. C’est un "tout" mythifié, virtuel, ils savent ce qui est Pakistanais, et ce qui ne l’est pas tout en ayant vécu si loin... Cette connaissance imaginaire est une "connaissance" assez particulière, que seule la deuxième génération détient... Elle est fausse et semble être vraie, elle est vraie et semble être fausse... Il faut dire que la société pakistanaise a une tradition orale très importante, et que cela joue certainement beaucoup.

Au Pakistan, la société exige que les fils ne se séparent jamais de leurs parents, une fois mariés ils ont à leur tour le devoir de s’occuper d’eux, et de les aider à élever les derniers de la famille (éducation d’un cadet, contribuer à la dot d’une soeur...). Une fois que tous les fils sont mariés, l’aîné peut se séparer... et ainsi de suite, mais les parents gardent le droit de séjourner chez tous les fils; c’est normalement un devoir pour tous de les garder chez eux et de se diviser ainsi la tâche. Il est rare de voir des parents délaissés par chacun de leurs fils.

Le rôle de la fille est de rester le mieux possible chez sa belle famille, et ainsi d’aider ses beaux-parents. Ce sont des traditions que l’on retrouve dans le sous continent indien aussi bien chez les hindous que les musulmans... Cette tradition est l’une des plus fondamentales qui soit, elle est censée exister pour le bien de tous, pour le bon fonctionnement de la société. Il est vrai que dans la société indo-pakistanaise, chacun a un rôle bien défini auquel il n’échappe généralement pas. Bien évidemment, certains fils fuiront ce devoir, les frères se "lanceront la balle"; et par conséquent nous trouverons des parents maltraités, ou encore mis à la porte. Dans ce genre de situation, cela devient très délicat et terrible pour les parents; rejetés, ils ne savent que faire, car au Pakistan, il n’existe pas de maison de retraite. Dans ces cas, il n’est pas rare de voir les parents se retourner vers leurs filles, mais le problème est que cela est mal vu par la société, car le devoir d’une fille est de s’occuper de la belle-famille uniquement. Pour les parents, se retrouver donc sans aucun de leurs fils est l’une des pires choses qui peut leur arriver. Pendant un séjour au Pakistan, lors de mes entretiens avec les yogi, et les femmes yogi, j’ai pu constater que ces personnes avaient été rejetées par leurs fils, et se retrouvant à la porte, elles n’avaient eu d’autres solutions que de manger et dormir dans les lieux saints : ces endroits sont finalement remplis d’exclus de la société, et forment une sorte de maison de retraite, de refuge, d’exil, pour toutes sortes de personnes délaissées et sans ressources.

Il serait très intéressant de voir si en France cette tradition de garder ses parents chez soi, et de prendre soin d’eux, a autant d’importance que dans le pays. Il vraisemblable que oui, personne ne pense laisser les parents seuls, ce qui est complètement à l’opposé de ce que tant de jeunes Français peuvent penser. Sur ce sujet, il y a une véritable horreur, et une consternation qui semble bien venir du coeur. Aujourd’hui, même les filles disent avoir le droit de prendre en charge leurs parents si ces derniers se retrouvent sans personne. Elles ne voient pas en quoi elles seraient différentes, et prendraient volontiers le rôle d’un fils. Je voudrais juste rappeler qu’il me semble que ce changement vis-à-vis du rôle de la fille (en cas d’absence du fils), n’est pas propre aux jeunes qui auraient grandi ici; à maintes reprises, j’ai assisté au Pakistan à des discussions qui allaient dans ce sens; j’ai aussi pu constater cela dans certaines séries télévisées Pakistanaises où l’on traite des faits de société : "aujourd’hui, - entend-on de plus en plus -, ce sont les filles qui s’occupent le mieux des parents, ou qui s’occuperaient le mieux...," mais cela est à prendre avec précaution.

En France, cette tradition semble être solidement maintenue, les fils mariés vivent effectivement avec leurs parent, ils ne se contentent souvent que d’une seule chambre, et participent économiquement. Cette façon de vivre est pour eux normale, et même s’ils ont vécu ici, cela ne semble pas leur poser un grand problème. Le fait de vivre avec les parents comporte certes des inconvénients, mais comporte aussi des avantages; le loyer et toutes les autres charges sont partagés; les entraides, la garde des enfants sont aussi à prendre en considération, car dans la quotidienneté, ces petites choses posent des problèmes... Il y a une présence permanente à la maison, ce qui peut être très rassurant psychologiquement, car la communauté pakistanaise est encore loin d’être une communauté individualiste. Il n’est pas rare de voir des familles étendues vivant même à 20 personnes dans un pavillon, à10-15 dans un F4...

En discutant de ce sujet, Shabnam parle directement de l’individualisme européen qu’elle attribue à l’égoïsme : "Nous avons été éduqués d’une telle manière que pour nous il est normal de vivre avec les parents. Je pense, sans porter de jugements spontanés, que les européens devraient par moment eux-aussi prendre l’exemple sur d’autres communautés, poser de temps à autre un oeil rétrospectif sur eux-mêmes, car on trouve en Europe, des choses vraiment honteuses. Qui peut dire que les maisons de retraite sont bien ? Qui peut dire que les personnes âgées sont heureuses dans cette prison? Ici, ils sont tous mis en prison avant de mourir. Ils sont éloignés de la société, voient de temps en temps les êtres qui leur sont si chers... Quand je réfléchis sur les maisons de retraite, je me dis que vraiment cette société est ce qu’il y a de plus égoïste, ce n’est même pas de l’individualisme, c’est de l’égoïsme, et ce envers ceux qui vous ont le plus aimé au monde. Je sais que mes frères s’occuperont de mes parents, c’est sûr, ils sont eux aussi écoeurés de voir un tel système. Mais si jamais ils ne le font pas, je le ferai, c’est sûr ! jamais mes parents ne se retrouveront dans cette prison. Il faudrait d’urgence que la société européenne réfléchisse en ouvrant son coeur, les personnes âgées ne devraient pas mourir avant l’heure. Les mettre dans les maisons de retraite c’est tuer leur âme, les jeter à la poubelle, détruire les derniers moments de leur vie..."

Ali qui a 36 ans vit encore avec ses parents, et n’envisage pas de les quitter, mais il est le seul à dire que le système des maisons de retraite n’est pas un mauvais système, et c’est ce qu’il choisira pour lui-même : "Personnellement, je ne vois absolument aucun inconvénient à vivre avec ma famille. Et je pense que mes parents verraient d’un mauvais oeil (en tout cas, ils seraient très tristes) que je les quitte. La maison de retraite à toujours été la plus grande peur de mon père. Déjà lorsque l’on était enfant, il nous en parlait, à charge pour nous de faire en sorte qu’ils n’y aillent pas... Je suis de toute façon très réticent pour mettre mes parents dans une maison de retraite. Par contre pour moi-même, ce sera la solution que je choisirai, je ne pense pas que ce soit un si mauvais système. En tout cas je ne savais pas que telle était la tradition au Pakistan, mais c’est vrai que dans la famille (très traditionnelle) qui est restée au Pakistan, le fils est resté pour l’instant avec sa famille. Cela dit, les traditions évoluent là-bas vitesse V."

Laisser vivre les parents seuls, est souvent vu comme une trahison de la part des enfants. Les jeunes pensent qu’ils doivent rendre ce qu’ils ont reçu des parents : le soin permanent :

Yasmine : "Je pense que laisser tomber les parents quand ils ont besoin de nous c’est simplement les trahir; dans les maisons de retraite, les personnes âgées sont isolées de la société. Qui voudrait être isolé comme ils le sont ? C’est vrai que j’aimerais bien moi aussi vivre séparément quand je me marierai, mais je resterai avec mes beaux-parents, je suis sûre que toutes les belles-mères ne sont pas méchantes, surtout si vous vous occupez d’elles."

Il y a parmi la deuxième génération quelque chose d’étrange. Tout en vivant dans un pays où l’on pense si différemment, ils savent se distinguer. Certes sur quelques sujets et questions, ils ne savent pas répondre très clairement, et restent sur un doute, mais sur d’autres points ils semblent savoir ce qu’ils veulent et ce qu’ils pensent réellement.

La question du comportement en classe est aussi intéressante à étudier. Les relations que les élèves ont vis-à-vis des professeurs au Pakistan est une relation quelque peu différente de celle que les élèves peuvent avoir en France. Au Pakistan le métier de professeur est l’un des métiers les plus respectés, le professeur est une personne envers laquelle non seulement l’élève a du respect, mais il doit aussi le considérer comme un second parent. Les parents n’acceptent pas que leurs enfant répondent aux professeurs. Ici, même les parents qui n’ont pas poussé leurs enfants à faire de longues études, ont tout de même fait passer cette pensée aux enfants. Peut-être s’agit-il ici de rapporter des clichés, mais si jamais leurs enfants répondent, les parents sont choqués et accusent l’atmosphère occidentale d’être à l’origine de ce comportement "déviant" de leurs enfants. Il en est différemment pour la deuxième génération : tous ne pensent pas que cela soit dû à l’entourage, mais que c’est simplement une question d’éducation de chacun.

Shakeela renchérit sur ce que nous venons de dire : "Je ne pense pas que le fait qu’un Pakistanais réponde à un professeur veuille dire qu’il soit influencé par son entourage français, il aurait pu être au Pakistan et répondre de la même manière. Il y a des gens qui répondent, c’est tout."

Pour Shabnam, les choses ne sont pas aussi simples. Elle pense qu’au Pakistan, les enfants doivent aussi répondre. Elle essaie aussi de s’interroger sur les diverses raisons qui poussent un jeune à répondre en classe, et elle soulèvera ainsi le problème du racisme : " On peut répondre à un professeur pour plusieurs raisons, un élève peut répondre parce qu’il se sent victime d’injustice, et Dieu sait ô combien il est plus difficile pour un élève "étranger" de se faire remarquer comme étant autre chose qu’un simple abruti. Tellement de professeurs avaient l’impression que les enfants d’étrangers étaient tous des nuls, et il fallait se faire remarquer. Je n’ai jamais accepté l’injustice, et j’ai été victime d’injustice parce que ma tête ne revenait pas à certains professeurs, j’étais notée plus sévèrement que d’autres. Je me souviens de certaines choses que je n’oublierai jamais, certains Maghrébins étaient vraiment les têtes de turcs alors que tellement d’entre eux étaient très sérieux, je me souviens qu’un prof prenait du plaisir à faire pleurer un arabe en le menaçant de convoquer ses parents, et tout ça pour rien, une fois qu’il l’avait fait pleurer, il se sentait satisfait ! A vrai, dire, j’aurais bien répondu à ce prof, mais je ne le faisais que très rarement parce que j’avais peur de la réaction de mes parents qui m’avaient toujours dit de ne jamais-jamais répondre aux profs, et ce quoi qu’il arrive. Mais je pense que si les enfants des Pakistanais ou Indiens ne répondent pas autant que les Français, ce n’est pas parce qu’ils sont soumis ou n’ont pas le sens critique, mais c’est simplement par respect."

Noor dit au contraire que c’est simplement une influence européenne: Un Pakistanais qui répond c’est quelqu’un qui a été influencé par l’entourage, ce n’est pas chez lui qu’il a appris ça, c’est sûr. Je vois certaines personnes tutoyer un professeur, ça ce n’est pas possible pour moi." Noor attribue au vouvoiement, le respect. En effet, Le vouvoiement et le tutoiement obéissent dans le contient indien à des règles strictes. On vouvoie tous ceux qui sont plus âgés que vous, souvent même ceux qui ne sont vos aînés que d’un an. On vouvoie les parents, les tantes et oncles, les grands frères et soeurs... Dans le couple, nous voyons souvent le mari tutoyer sa femme et la femme vouvoyer son mari. Ceci étant dit, aujourd’hui, les jeunes couples soit se tutoient mutuellement, soit se vouvoient.

Quant à Ali, il parle d’une éducation personnelle, et des problèmes que les jeunes peuvent avoir dans leur vie privée : "Evidemment, il ne me serait jamais venu à l’idée de répondre à un professeur. Je dois dire que j’étais très timide, et puis, à l’époque, cela ne se faisait pas. Je me souviens qu’en sixième, il n’était pas question de porter un jean. Etant prof, j’ai remarqué quelque chose, les jeunes Français qui ont eu des problèmes familiaux (père décédé ou absent, chômage des deux parents...) sont en général plus agressifs en classe. Les élèves étrangers (qui ont un soutien familial) sont plus calmes. Mais difficile d’en faire une règle. Le sexe joue, la maturité aussi. La nature de l’enseignement et la sélection scolaire jouent également, les "comptables" sont plus calmes que les "commerciaux"; ou alors on met les élèves les plus remuants ou supposés tels en commerce, et les élèves plus dociles en compta; on met les élèves qui ont connu des difficultés familiales diverses dans les études à court terme, et ceux qui n’ont aucune difficulté peuvent envisager des études plus longues. Et cela dépend aussi de la proportion d’élèves d’origine étrangère dans la classe. Personnellement, dans ma classe je devais être le seul élève de couleur..."

Les avis sont controversés, il est vrai qu’il y a une sorte de mystification du métier de professeur, mais il semble que les choses changent aussi bien ici que là-bas.

J’ai décidé de citer quelques phrases d’une page web* écrite par un étudiant de Lahore, qui parle de son Collège (un collège prestigieux de Lahore : The Government College) et de sa classe. Ce qui est y est décrit s’oppose à ce que nous pouvons souvent entendre... La façon dont il parle, et parle à propos des autres, n’a rien avoir avec un "Pakistan respectueux" envers une certaine hiérarchie. Ce dernier décrit des comportements collectifs, ainsi nous pouvons lire : "One thing that really bugged all the teachers, especially Bumb (nom donné au professeur d’anglais), was that we weren’t dying to learn. We were not into the whole "G.C Study" deal, we just didn’t _________________________

* http://www.vasi.hasan.com

care. He would say something like this : if you were made P.M of this country what would you do ? (...) and somebody would say a really stupid thing like : aha ! I would get somebody to publish an urdu version of playboy. This would be followed about 15 minutes (no exageration) of laughter and various other obnoxious sounds (...). The static teacher (...). He had a beard, wore the same grey shalwar kurta for 2 years, and never stopped scratching his reproductive organs. (...) His name (d’un autre professeur) was Inam-ul-Haq, popularly known as Inam Fuck (...)" Par ces exemples nous voyons bien qu’il ne parle pas que d’une manière personnelle, mais reproduit toute une atmophère... qui contredit les clichés que les Pakistanais entretiennent de leur pays...

Quoiqu’il en soit, mis à part cette page web, pendant mes séjours au Pakistan, il ne me semble pas que les parents ou les élèves aient du respect pour les mauvais professeurs, j’ai même entendu beaucoup de parents se plaindre de la mauvaise conduite de ces derniers. Cela engendrait parfois des conflits graves, car aujourd’hui le respect se paye par le respect. Autrefois, peut-être y avait-il une hiérarchie encore plus accentuée qui faisait que l’on respectait à n’importe quel prix quelqu’un que l’on pensait supérieur à soi.

Ce cliché m’amène à parler d’un autre cliché qui va dans le même sens: les jeunes issus de l’immigration sont souvent étiquetés (que ce soit par la famille au Pakistan ou par les parents eux-mêmes) comme étant irrespectueux (ou pas assez respectueux) envers les adultes et particulièrement envers les parents; leurs discours contredisant les parents seraient le symbole même d’une mauvaise conduite due à l’influence française. Le fait de répondre aux parents est aussi mal vu dans la société française mais cela est moins discuté; chez les Pakistanais il y a une véritable obsession sur l’obligation de ne pas répondre à celui qui est plus âgé que soi... (même si l’interlocuteur n’a que quelque années de plus !).

Les parents, mais pas seulement eux, certains jeunes aussi, disent que si un jeune répond c’est "parce qu’il a grandi en France...", et qu’au pays cela ne se serait pas passé comme cela. Est-ce vraiment exact ? Un nombre considérable de clichés circulent sur la deuxième génération, c’est à croire que les enfants au Pakistan sont des enfants idéaux, à la limite de la perfection... mais est-ce vraiment le cas ? Avant de tenter de répondre à cette question, voyons ce qu’en disent les interviewés.

Noor pense que c’est encore une fois une mauvaise influence européenne : " Je crois que c’est une influence de l’Europe, une mauvaise influence, je vois ça quand je suis au Pakistan, je vois que mes cousines ne répondent pas du tout, alors que moi si, mais ce n’est pas méchant."

Shakeela ne comprend pas pour quelle raison on lui reproche toujours cela à la maison : "A chaque fois que je dis quelque chose, on me dit que c’est parce que j’ai grandi en France, c’est assez insupportable, c’est à croire qu’il faudrait rester muette, pourtant je suis sûre qu’au Pakistan ce n’est pas mieux, mais nos parents ont une image du Pakistan tellement sublimée..."

Shabnam ne pense pas que cela soit dû à un pays. Elle donne l’exemple des jeunes de sa famille, au Pakistan, qui répondent à leurs parents. Elle soulèvera un point important en disant qu’au pays, les fils dominent les mères et prennent beaucoup de décisions à leur place : C’est n’importe quoi, au Pakistan je vois à quel point on gueule sur les parents ! qu’on ne me dise pas le contraire, j’irai vous le prouver, j’ai des cousins qui parlent à leur mère comme on parlerait à un ennemi, aucun respect, rien, les garçons souvent dominent leur mère, et rarement le contraire ! alors qu’ici, ce sont les mères qui dominent leurs fils ! la réalité, on ne veut pas la voir telle quelle est... J’ai même un cousin là-bas qui au moins tous les 2 jours gueule sur sa mère comme si elle était une chienne... C’est nous qui somme choqués de voir ça, parce qu’on a toujours dit que là-bas les enfants sont ci et ça... Quel choc de voir le contraire ! je ne veux bien sûr pas dire qu’ils sont tous comme ça, il y a des enfants très respectueux, mais de là à dire que cela n’existe pas au Pakistan, c’est aller trop loin, et ne pas vouloir voir les choses telles qu’elles sont. Ici aussi il y a des enfants qui respectent beaucoup les parents. Il y a de tout dans tous les pays en ce qui concerne cette question."

Sur ce sujet aussi les points de vue sont controversés au sein de la deuxième génération, tandis que pour la première génération, et les gens du Pakistan, un jeune qui aurait grandi en France est plus susceptible de manquer de respect aux adultes. Le problème est un peu plus complexe que cela. Répondre ne veut pas forcément dire manquer de respect, et c’est cela qui n’est pas pris en compte. Dire ce que l’on pense peut être perçu par les parents d’une manière négative, alors que cela est normal pour un jeune; il en est de même au Pakistan, et peut-être est-ce universel; les parents attendent parfois des choses très précises de la part des enfants (certains voudraient que leur fils soit médecin, d’autres voudraient que leur fille épouse un neveu choisi pour elle etc.) et dès que les enfants refusent, les parents se sentent menacés, et trahis... Ils pensent constamment (plus que d’habitude) à leur pays dans de telles situations, et pensent avec certitude que cela ne leur serait pas arrivé s’ils avaient été là-bas; et pourtant, le Pakistan aussi a évolué. Il est peut-être vrai qu’il y a 20 ans ou 40 ans, les parents décidaient de tout pour les enfants, et peu d’enfants avaient assez de force pour les contredire. Mais aujourd’hui on trouve de tout au Pakistan aussi, et on entend les mêmes discours qu’ici, mais un peu autrement : " la Télé a pourri nos enfants", "les films influencent négativement les enfants", "les magazines donnent de mauvaises idées" et même "les enfants trop éduqués n’obéissent plus !", tandis qu’ici on entend l’éternelle phrase " c’est parce qu’ils ont grandi en Europe." Si, sur cette question, les enfants du Pakistan sont finalement pareils que ceux d’ici, pour quelle raison les jeunes d’ici sont-ils plus remarqués, même par les gens du Pakistan ?... je pense simplement qu’il y a là un véritable cliché qui circule, et qui certainement arrange les gens du Pakistan aussi. Cela les rassurerait-ils ?... les aiderait-ils à entretenir cette bonne image qu’ils se font d’eux-mêmes et qui leur est surtout gentiment donnée par les immigrés ?... cela leur permettrait-il de fermer les yeux sur leur propre situation ?... Et pour les parents, tourner autour de ce cliché et le travailler chaque jour, leur permettrait-il de continuer à entretenir une image idéalisée de leur pays ?

CONCLUSION

Certes, la France est exigeante par sa politique de l’assimilation, mais j’ai remarqué à travers les entretiens qu’avant tout une bonne intégration commence initialement par l’ouverture d’esprit des parents. L’intégration est définie de diverses manières : "vivre au moins la majorité de son temps en harmonie avec soi-même et son entourage", "quelqu’un d’intégré, c’est d’abord quelqu’un qui accepte l’échange à l’intérieur d’une société sans forcément renoncer à ses convictions", "l’intégration, c’est réussir à vivre entre deux cultures (...) sans être mal dans sa peau"... En quelques mots, les définitions rejoignent "le bien être" et l’ "échange". Ce bien être et cet échange sont plus facilement possibles à concrétiser pour ceux dont les parents sont conscients qu’ils ne vivent plus au Pakistan, et que leurs enfants font partie des jeunes qui ne sont pas totalement Pakistanais... Ce sont souvent les jeunes dont les parents sont les plus stricts, qui pensent qu’une intégration est simplement impossible. Par conséquent, le sentiment d’intégration ne dépend pas seulement de l’attitude de la société d’accueil, mais aussi de l’attitude de ses propres parents, et de sa propre volonté.

Ceci étant dit, face à une culture laïque très prononcée dans la société française, les jeunes se sentent parfois frustrés, et avouent qu’ils manquent de repères communautaires. Ils citent souvent l’Angleterre pour son multiculturalisme, mais le dénonce aussi car cette politique crée facilement des ghettos. Il y a donc une sorte de contradiction : il n’y a pas assez de repères indo-pakistanais, mais ils ne voudraient pas non plus se retrouver avec "trop de Pakistanais".

L’islam et les traditions indo-Pakistanaises ont été conjointement transmis, avec la même intensité, même si dans les paroles on met l’islam au premier rang. La majorité des Pakistanais est sunnite et a transmis cette tradition à ses enfants. Seulement, une fois adultes, les jeunes ont souvent remis en question certaines croyances liées aux Hadiths. Un nombre considérable a décidé de ne se ranger dans aucun courant, et se dit "simplement musulman". Une grande majorité a lu (ou a le désir) de lire le Coran dans une langue qu’elle comprendrait, afin de savoir ce qu’elle lit. La langue française s’est donc naturellement intégrée dans "l’islam de tous les jours".

Très peu de jeunes (tout comme les adultes) sont des pratiquants réguliers (accomplissant les cinq prières quotidiennes, ainsi qu’une lecture régulière du Coran...); par contre une majorité fait le ramadan (même si c’est d’une manière irrégulière).

Même si l’islam est ce qu’il y a de plus important à préserver pour les Pakistanais, dans la réalité le comportement de "bon traditionaliste" l’emporte sur le comportement de "bon musulman" (: purifié de toutes les traditions non-islamiques, et surtout indiennes...). C’est ainsi que les parents transmettent à leurs enfants le système des castes, et leur font savoir que leur honneur y est lié, et que les enfants prennent le risque de les déshonorer s’ils désirent sortir d’un tel système. En effet, une bonne moitié de la première génération préserve précieusement cette hiérarchie, et il est inconcevable pour eux d’accepter un mariage inter-caste. Les enfants de parents "traditionalistes à la lettre" adhèrent souvent à leur volonté pour ne pas les blesser, mais une minorité se rebelle, et en se rebellant soit crée des conflits sérieux avec les parents (mésentente perpétuelle, abondon du foyer d’un parent ou du jeune...), soit ces derniers finissent par "s’adapter", ce qui est souvent le cas.

Les jeunes ne comprennent pas pour quelle raison on continue à maintenir ce système, et disent avec conviction qu’ils ne transmettront pas cette tradition à leurs enfants.

Le fait de rester "entre soi", ne pas faire des mariages inter-caste va, en réalité, plus loin. Le but est souvent de marier ses enfants non seulement dans la caste, mais aussi dans la famille. Il est surprenant de voir le nombre de jeunes mariés avec leurs cousins/cousines !... (alors qu’au Pakistan, on a tendance à marier les enfants en dehors du cercle familial, les Pakistanais dans les diasporas font le contraire !).

Le mariage d’un fils est l’affaire de la mère. Les femmes Pakistanaises ont peur des filles qui ont grandi en Europe (elles les pensent occidentalisées) et vont avec leurs fils (parfois elles vont seules) choisir une fille de la famille au Pakistan. Cette dernière est vue comme étant une fille traditionaliste qui s’occupera de ses beaux-parents... et transmettra la religion et les valeurs traditionnelles à sa descendance d’une manière plus assidue et sûre que les filles d’ici.

Même si les filles Pakistanaises venues du Pakistan correspondent rarement aux clichés que les mères entretiennent sur elles, elles continuent à être sollicitées. Ce qui est étrange et contradictoire c’est que pratiquement toutes les femmes ont des filles qui ont grandi ici, et aimeraient à leur tour trouver des garçons d’ici pour ces dernières !... (pensant que leurs filles ne sont pas très "occidentalisées". En fait, ce sont souvent les filles des autres qui leur font peur).

Logiquement, les filles qui ont grandi en France se retrouvent délaissées par leur propre communauté, et on ressent souvent une amertume dans leurs paroles sur ce sujet essentiellement. Elles n’ont d’autre choix que de se marier avec un Pakistanais du Pakistan : cela engendre plus de problèmes pour elles que pour les garçons, car rien que leur désir de travailler ou de porter des vêtements européens, ou parler avec un garçon de leur entourage peut créer des conflits au sein du couple.

Ceci étant dit, il est bon de rappeler que même si beaucoup de jeunes adhèrent aux volontés des parents, ils avouent que si on leur donnait le choix sans les culpabiliser, ils préféreraient se marier entre eux (la deuxième génération) car ils se comprendraient plus facilement.

Les jeunes (mais aussi les parents qui sont en France depuis environ deux décennies) vivent entre une France réelle et un Pakistan virtuel. J’ai remarqué qu’ils vivaient tous avec une image très précise, sublimée et puritaine du Pakistan, où les enfants font tout ce que les parents leur demandent de faire, où l’on obéit à une certaine hiérarchie, où l’on prend soin les parents sans les contester même une fois marié... et surtout où les hommes et les femmes sont plus pieux... Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples et aussi belles que cela au Pakistan. Et la réalité est souvent toute autre...

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